LE FELZE A Edmond Jaloux. Le campanile rouge et la blanche façade de San Giorgio Maggiore se reflètent dans l’eau pâle et transparente et il me semble soudain que la gondole n’avance plus. On dirait que la lagune est devenue tout à coup solide et compacte, comme si elle venait de geler subitement. L’air glacé nous retient dans son bloc de limpidité immobile. Puis un grand souffle de froid passe, où tremble l’ha-leine de l’hiver proche. Là-bas, Venise frissonne cassante et fragile sur le ciel clair. Carlo a lâché sa rame et frotte ses mains pour les réchauffer tandis que je tourne la tête vers lui pour lui dire : « Vous mettrez le felze demain, Carlo, vous mettrez le felze. » Carlo a mis le felze. Par la fenêtre, je vois mon homme qui nous attend à la porte marine. Sa gondole fait le gros dos. Sa carapace noire la bossue. Elle n’a plus son as- — 95 — i