L’ILLUSION J’ai dormi, cette première nuit, dans un tel silence qu’il me semble que je ne me réveillerai jamais plus tout à fait. Cependant l'air matinal rafraîchit mes yeux, mais les choses qu’ils voient contribuent à me maintenir dans un demi-rêve : ces eaux muettes, ces pierres taciturnes, ce ciel lumineux, — tout le décor de la Ville enchantée où la noire gondole qui me mène paraît signifier, par sa forme funéraire, qu’on est mort au reste du monde. N’est-ce pas, en effet, ici un lieu étrange par sa singulière beauté ? Son nom seul provoque l’esprit à des idées de volupté et de mélancolie. Dites : « Venise », et vous croirez entendre comme du verre qui se brise sous le silence de la lune... « Venise », et c’est comme une étoffe desoie qui se déchire dans un rayon de soleil... « Venise », et toutes les couleurs se confondent en une — 23 —