IMAGES VÉNITIENNES Ouf! Je suis las. J’ai marché longtemps de long en large dans ma chambre. Si je m’allongeais sur mon divan? Ses coussins de cuir me font songer à ceux des gondoles. Que d’heures j’ai passées étendu à leur dossier rembourré. Devant moi, je voyais se balancer le fer argenté de la proue. Derrière moi, le gondolier pesait sur sa rame. Nous allions doucement. Parfois, il poussait un cri doux, rauque et guttural. Parfois, il baissait la tête pour éviter l’arche basse d’un pont où riait un mascaron de marbre. Tout à coup, nous sortions du labyrinthe des petits canaux. La lagune s’étendait, unie, plate, lumineuse. De grosses barques y erraient, ventrues. Leurs voiles rouges ou ocre, peintes de dessins bizarres, ressemblaient à des ailes de papillon, à des feuilles mortes, aux façades de certains palais. Des mouettes tournaient autour de nous. Çà et là, la rame touchait le fond mou du chenal rétréci. Nous abordions aux îles, à Murano, où l’on souffle le verre, à Burano, où l’on fait la dentelle, à Torcello ou à Mazzorbo, à San-Lazaro, où, des moines d’Orient, à longues barbes, voient fleurir les roses de Damas à l’ombre d’un cèdre du Liban. Le soir tombait, et, je m’endormais au retour... — 16 -