390 HISTOIRE DE VENISE. Oonstantinople, et que les Français en avaient conçu un profond ressentiment contre le gouvernement vénitien; qu’à cause iJe cela, le capitaine Jacques Pierre avait concerté secrètement avec M. d’Ar-nault, son grand ami, de grands projets ; qu’ils s’étaient abouchés l’un et l’autre avec l’ambassadeur de France, et qu'ils en avaient traité plusieurs fois avec l’ambassadeur d’Espagne ; que lui, déposant, n’en savait pas positivement le contenu; niais que pour ce qui concernait M. d’Arnault, il devait se rendre à Marseille aussitôt que l’armée du roi très-chrétien y serait prête, pour la conduire vers les possessions vénitiennes du Levant, dont il avait une parfaite connaissance, et que, pendant ce temps-là, le capitaine Jacques Pierre, étant sur la flotte vénitienne, devait exécuter de grands projets contre la république; que le capitaine et M. d’Arnault en avaient conféré ; qu'ils devaient agir simultanément contre la république, non-seulement eu mer, par le désastre de la Hotte, que Jacques Pierre se promettait d’opérer avec ses complices et avec le secours du vice-roi de Naples, mais encore à Venise, où il se trouvait beaucoup de gens de guerre envoyés par le vice-roi, lesquels, ayant pris une connaissance exacte de la ville et des divers postes, devaient mettre le feu à l’arsenal et dans plus de quarante endroits, tailler eu pièces toute la noblesse vénitienne, et se rendre maîtres des points principaux; entin, dans la terre-ferme, des soldats et des officiers s'étaient introduits dans les diverses places, lesquels, au signal qui leur serait donné, devaient se soulever contre les milices éparses dans le lires-cian, le Uergamasque et le Crémasque; que, dans le Padouan, il y avait des troupes hollandaises, dont les chefs étaient tous complices du projet. Ces troupes étaient fort animées contre la république, fort mécontentes de leur traitement et du peu de fruit qu’elles avaient retiré de leur venue en Italie, où elles avaient espéré faire un grand butin ; que, dès qu’on leur promettrait le pillage de Venise, elles s’y prêteraient avec ardeur ; que tous étaient prêts à faire tout le mal possible à Venise, et que les chefs de ce complot étaient le capitaine et M. d’Arnault. Ce dernier avait même dit que le roi de France verrait cette révolution avec plaisir, tant il était irrité > des désagréments arrivés à son ambassadeur à Con-stantinople; que c’était là tout ce qu’il savait sur cette affaire, à laquelle il était chargé de prendre part en mettant le feu en certains endroits, et empêchant qui que ce fût de passer, et en massacrant quiconque leur opposerait résistance; que l’exécution de ce complot était lixée à l’époque de l'Ascension. Après la déclaration ci-dessus, le déposant ayant été emmené, on lit revenir le sieur d'Arnault, d’a- près l’ordre de l’avogador Nicolas Valerio; et, lorsqu’il fut arrivé, l’avogador lui dit que ces messieurs étaient les illustrissimes inquisiteurs d’Etat, lesquels voulaient savoir de lui la vérité mieux qu’il ne l'avait dite jusqu'à présent; qu’il lui importait de la dire, s’il ne voulait pas obliger la justice à faire usage de ses moyens ordinaires pour la lui arracher : à quoi ledit d’Arnault répondit qu'il l'avait déjà dite. Sommé de déclarer ce qu’il avait dit, il répondit: Lisez mon interrogatoire, et vous le verrez. L’avo-gador lui dit : Je vous dit et je vous répète que vous n’avez pas dit la vérité ; cl M. d’Arnault répondit : Je l’ai dite, et je n’ai rien de plus à déclarer. Immédiatement on lui exhiba une lettre et un passe-port en espagnol ; la lettre était adressée au gouverneur de Milan, elle était du marquis de Bcdcmar, ambassadeur à Venise, lequel écrivait : Le porteur de cette lettre est M. Renault Aruault, homme de grande valeur, lequel va pour des affaires importantes du service de sa majesté notre roi, et j’ai voulu le faire accompagner de celte lettre, pour que votre seigneurie prenne confiance dans tout ce qu'il lui dira, et qu’elle ait égard à toutes ses représentations. Je n'eu ajoute pas davantage, parce qu'il vous exposera de vive voix tout ce dont il s'agit. Le passe-port disait que tout ministre, sujet ou représentant du roi, était requis non-seulement de laisser uu libre passage au susdit Arnault, niais du lui prêter aide et assistance, sans même lui demander, comme à tous les autres étrangers, le but cl le sujet de son voyage. On lui exhiba une lettre du duc de Guise avec la suscriplion : A M. Renault Arnault, à Venise. Celte lettre portait l'ordre de partir avec tous les gens et lous les moyens requis pour l'entreprise. Ces lettres, qui avaient été trouvées sur lui, lui furent montrées, ainsi que beaucoup d'autres qui élaieuldans une grande cassette, où l'on avait trouve aussi des lettres de change pour de grosses sommes, dix mille doubles en argent comptant, et beaucoup d’or. L’avogador lui dit : Ces lettres et les autres ne vous viennent-elles pas de l’ambassadeur d'Espa-. gne ? Si, comme vous le prétendez, vous êtes serviteur du roi de France et attaché à ses ambassades, quel commerce avez-vous donc avec les Espagnols ? l)e plus, ou lui trouva une copie d’une lettre que lui-même avait écrite au duc de Guise, dont le contenu était que dans un mois tout serait prêt; que le capitaine Jacques Pierre était sur le point de partir avec l'armée vénitienne, et qu’il n'y avait pas de temps à perdre, etc. Le susdit Arnault nia ces lettres, comme d’avoir jamais parlé à l’ambassadeur d’Espagne, ajoutant