2 i 2 HISTOIRE DE VENISE. le gouvernement vénitien pouvait prendre les mesures qu’il jugerait convenables pour faire rentrer dans le devoir les provinces insurgées. Il ne se refusait pas à interposer son autorité, s’il en était re- lc montant de toutes les fournitures déjà faites, et que ces deux sommes formeraient une créance que certainement la nation française ne manquerait pas de liquider à la paix ; qu’il importaitde faire éclater les dispositions du sénat pour la république française, et qu’il pouvait nous assurer que le directoire avait tenu beaucoup plus de compte à la république de Gênes des quatre millions qu’elle avait fournis, qu’à la république de Venise de tout ce qu’elle avait souffert, parce que les sacrifices de celle-ci étaient regardés comme moins volontaires. « Nous lui témoignâmes vivement notre surprise, qu’au moment où nous espérions la fin de ces sacrifices, on nous proposât un tribut mensuel si fort au dessus des ressources de notre trésor, ajoutant que ce serait fournir aux Autrichiens un prétexte pour nous en demander autant, ce qui consommerait notre ruine, et ce que nous ne pourrions cependant refuser d’après notre système de neutralité. « A ces mots, nous interrompant, il nous fit considérer, avec amertume, que les armées autrichiennes étaient entièrement chassées de l’Italie, que toutes nos forteresses,toutes nos villes étaient entre scs mains, qu’il se trouvait en état de nous faire la loi, et que, si notre trésor était épuisé, ce qu’il ne croyait pas, le sénat pouvait facilement s’aider de ceux du duc de Modène (*), et de tous les fonds déposés à Venise par les ennemis de la France, fonds que la France était en droit de réclamer. «Nous ne manquâmes pas de lui objecter que, si les grandes puissances peuvent se permettre quelquefois l’emploi des moyens arbitraires, celles qui sont médiocres et modérées comme notre république, ne peuvent fonder leur tranquillité et leur sûreté que sur les bases delà bonne foi et de la justice, c’est-à-dire sur le respect des propriétés individuelles; que tout acte arbitraire, outre l’inconvénient de compromettre nos rapports politiques extérieurs, aurait celui d’entrainer la subversion de notre constitution; et que, quant à la demande d’une prestation mensuelle, demande à laquelle le sénat ne pouvait être tenu d’adhérer, il fallait bien au moins, dans tous les cas, s’informer si le trésor public pourrait y suffire. Or nous avions la certitude qu’il était impossible d’en espérer une somme qui approchât de celle dont il s’agissait. « Dans cette discussion, nous ne vîmes que trop qu’il regardait l’Etat vénitien comme occupé par son armée, et qu’il projetait de se l’assujétir encore davantage, pour se mettre en état d’exiger tout ce qu’il voudrait. Déjà il a envahi la forteresse de Palma-Nova, et il en augmente les (¥) Le duc de Modène s’était réfugié à Venise avec son trésor. Ce prince avait la réputation d’aimer à enfouir l’argent; aussi raconte-t-on qu’en 1790 les receveurs des deniers publics, qui, tous les mois, lui apportaient la partie de ses revenus qu’il se réservait, ayant traversé en plein jour, avec quelque appareil, la place du château, alors remplie de monde, le peuple de Modène, en voyant passer les caisses, se mit à chanter avec une gaieté maligne : Requiescat in pace. (Correspondance du ministre de France à Venise, 2 janviers 1790. Arc h. des a/faires êtrang.) quis; mais, pour tout concilier, le moyen le plus efficace était de former une union plus intime entre les deux républiques, c’est-à-dire que Venise se déclarât ouvertement pour la France, et qu’afin fortifications avec une diligence incroyable. Il occupe le port de Tricste, de sorte qu’il est parvenu à nous bloquer de toutes parts. » On vient de lire le récit de cette conférence par les commissaires vénitiens. Il peut être curieux de le comparer à celui qu’en fait l’autre interlocuteur dans ses mémoires (Afé-morial de Sainte-Hé/ène, tom. IV, par/. 53). « Napoléon, au moment d’ouvrir la nouvelle campagne, toujours plus inquiet de la direction des affaires de Venise, ayant le pressentiment de quelques machinations secrètes de la part du sénat, résolut de tenter un nouvel effort de négociation, et voulut avoir un entretien avec Pesaro, le chef du parti autrichien, qui, dans ce moment, conduisait toutes les affaires de la république. Pesaro peignit l’état critique de la république, le mauvais esprit des peuples, les plaintes légitimes contre Brescia et Bergame et leurs partisans dans les autres provinces de la terre-ferme. Il dit queces circonstances difficiles exigeaient des mesures fortes de la part du sénat, et des armements extraordinaires, qui ne devaient causer aucun ombrage au général français ; que le sénat était dans l’obligation de faire des arrestations à Venise et dans la terre ferme, et qu’il serait injuste de qualifier de rigueur contre les partisans de la France ce qui n’était, de la part du sénat, que la juste punition des citoyens turbulents qui voulaient renverser les lois de leur pays. Le général français ne disconvint pas de la situation critique de Venise, et, sans perdre son temps à en discuter les causes, il aborda franchement les faits. « Vous voulez arrêter ce que vous appe-« lez vos ennemis, et que nous appelons nos amis; vous « mettez en place des personnes connues par la haine « qu’elles nous portent et par leurs liaisons avec les Autri-» chiens. Vos troupes s’augmentent : elles marchent, disent-« elles, contre les jacobins. Que vous reste-t-il à faire pour « que nous soyons en guerre? Une guerre contre la France « serait votre entière et prompte ruine. Vainement vous « compteriez sur le prince Charles; votre calcul serait faux; « je le battrai et le chasserai de l’Italie avant huit jours. 11 « est un moyeu de sortir de la situation pénible où nous « sommes : je veux terminer vos angoisses; je vous offre « l’alliance de la république. Je vous garantirai tous vos « litats de terre-ferme, même votre autorité dans Brescia « et dans Bergame. Vous déclarerez la guerre à l’Autriche, « et vous me donnerez dix mille hommes pour contingent. Je « crois convenable de mettre dans le livre d’or les principales « familles de terre-ferme, mais je n’en fais pas une condition « sine gud non. Retournez à Venise, faites délibérer le « sénat et venez signer un traité, qui seul peut sauver votre « patrie et vous mettre d’accord. » Pesaro s’était fort avancé; il avait besoin de gagner du temps ; il avoua la sagesse du projet, et partit pour Venise, en promettant de venir avant quinze jours. » Si ce récit ne contient pas les mêmes détails que celui des commissaires, il faut considérer que l’auteur écrivait à Sainte-Hélène, de mémoire, en 1816, c’est-à-dire, après un intervalle de 19 ans, et qu’il n’est pas étonnant qu’il ait omi ou oublié plusieurs circonstances que les Vénitiens au contraire durent consigner dans un rapport fait le lendemain.