LIVRE XXXIII. 145 Le grand-visir s’était fait suivre à l’armée par un secrétaire de la légation vénitienne, et, avant de commencer la campagne de 1G67, il le chargea de transmettre à la république de nouvelles propositions de paix; mais, cette fois, il ne laissait aux Vénitiens,de toute l’ile de Candie,que la capitale, avec un territoire de quatre lieues de rayon. Ces conditions, plus dures que les précédentes, devaient paraître moins acceptables. Le sénat, sans les refuser positivement, fit ce que les grands ne font que trop souvent quand ils sont dans l’embarras : il rejetala difficulté sur un subalterne; on nomma pour négociateur à la Porte, un secrétaire du conseil des Dix, c’est-à-dire un bomme pris dans l’ordre de la ciladinance. Le poste de ministre de la république à la cour ottomane était devenu peu compatible avec l’orgueil patricien. Pendant cette négociation, dont personne n’espérait un heureux résultat, Morosini s’attachait à intercepter les secours qui arrivaient, de tous les points du continent voisin, à l’armée turque. Il s’était porté, avec trente galères, aux Grahuses, à l'extrémité occidentale de l’île, pour se trouver entre ce cap et la côte de Morée. Une de scs divisions, sous les ordres d'Alexandre Molino , croisait devant la Canée. Elle surprit une barque qui portait des lettres, annonçant l’arrivée d’un renfort de deux mille hommes, partis de la côte de Syrie. Le lendemain au soir 011 aperçut celte flotte. Molino l’attaqua vivement; la canonnade ne discontinua pas de toute la nuit. Au point du jour, trois des bâtiments turcs étaient déjà au pouvoir desVéniliens. Lesdeux capitanes étaient aux prises. Le visir, qui, du port (le la Canée, voyait ce combat, fait sortir dix galères; mais deux vaisseaux vénitiens les arrêtent et les forcent à rentrer dans le port. Iviupergli, indigné de leur retour, fait trancher la tète aux capitaines. Le combat continue ; la capilane turque, sur laquelle Molino s’acharnait, prend feu et saule en l’air; le reste est dispersé ; mais pendant que l’escadre vénitienne s’éloigne, pour achever de détruire cette flotte, quarante-six galères, conduites par le capitan-pacha, entrent dans la Canée et y introduisent un secours plus considérable. L’amiral ottoman repartit immédiatement après pour Constanlinople, et en revint une seconde fois avec le même bonheur. L’arrivée de tous ces renforts avait porté l’armée assiégeante à quarante mille combattants et à huit mille pionniers; elle s’éleva même dans la suite , jusqu’à soixante-dix mille hommes. XXI. Il y en avait dans la place à peu près neuf mille. Le capitaine-général, revenu à Candie, y débarqua deux mille hommes de ses chiourmes, afin (le soulager la garnison dans scs travaux. Les naturels du pays, avertis du sort qui les attendait, par les traitements cruels que les Turcs avaient exercés sur les habitants de la Canée, concouraient avec ardeur à la défense. Elle était dirigée par le capitaine-général François Morosini, en personne; il avait sous lui le marquisdeVille, qui commandait l’infanterie, et le provéditeur Antoine Barbaro, gouverneur de la place; mais celui-ci montrant, avec beaucoup d’activité et de bravoure, un esprit peu conciliant, et s’étant mis en opposition déclarée avec le généralissime, fut rappelé vers la fin de cette année 1667, et remplacé par Bernard Nani. Les provéditeurs üonato, Pisani, Moro, Bataglia, Cornaro, et le commandant de l’infanterie ultramontaine Spar, secondaient le capitaine-général. Le chevalier Vernède, et, sous lui, le lieutenant-général Vertmiller, commandaient l’artillerie. Les ingénieurs Castellano, Quadruplani, Loubatiers, Querini, Scrravalle, Mau-passant, dirigeaient les travaux de leur art. Les colonels de Chàtcauneuf, Comminges, Dcckcnfeld, Golenni, Imbcrli, Arborio, Vimes, Marini, Gomer-ville; les sergents de bataille Grimaldi, comte Mar-tinoni, Baroni, Fresheim, Motta, Grandis, Brigeras, Vecchia, Rados, Mathei, le provéditeur des vivres Justiniani, les chefs des mineurs Sentini etFloriot, signalèrent également leur courage et leur expérience. Le chevalier d’ilarcourt, de l’ordre de Malte; Maisonneuve, Langeron, Montausicr, de Ganges, et quelques autres volontaires , s’étaient jetés dans la place. C’est bien le moins qu’on doive à ceux qui, au prix de leur sang, contribuèrent à une défense si mémorable, de conserver leurs noms pour qu’ils restent en vénération dans la postérité. La place de Candie, qui d’un côté s’appuie à la mer, avait une forte enceinte, flanquée de sept bastions, dont les approches étaient défendues par quelques ouvrages avancés. Les fossés étaient larges et profonds : des travaux souterrains rendaient les assiégés maîtres de détruire en un moment les ouvrages extérieurs, lorsqu’ils ne pourraient plus les disputer à l’ennemi, li y avait sur les remparts plus de quatre cents pièces de canon, et dans la ville, des munitions de guerre et de bouche considérables, que d’ailleurs on avait la facilité de renouveler. Ce fut le 22 mai que le grand-visir vint établir son quartier-général devant la place, à la portée du canon des assiégés. L’artillerie des assiégeants lançait des boulets de plus de cent livres. Dès le 10 juin, cinq batteries de canons et trois de mortiers commencèrent à couvrir la place de feux. Voltaire a fait remarquer que les Turcs, dans ce siège, se montrèrent supérieurs aux chrétiens clans l’art militaire. Les plus gros canons qu’on eût vus en Europe furent fondus dans leur camp; ils firent, pour la première fois, des lignes parallèles dans leurs tranchées, usage que nous avons pris d’eux, mais qu’ils