200 HISTOIRE DE VENISE. Le grand-conseil fut convoqué. Le palais était entouré de troupes et de canons. Les ouvriers de l’arsenal, lés corps de métiers étaient sous les armes. Des patrouilles parcouraient les rues de la capitale, plongée dans la plus profonde consternation. Ce fut au milieu de cet appareil que six cent dix-neuf patriciens, c’est-à-dire à peu près la moitié du corps de la noblesse, se rassemblèrent dans la salle du grand-conseil. Le doge, pâle, défiguré, leur fit, d’une voix étouffée par les sanglots, le tableau de la situation de la république, et ajouta qu’il paraissait nécessaire d’autoriser les deux députés à convenir, avec le général Bonaparte, de quelques modifications dans la forme du gouvernement. Jean Minotto, conseiller du doge, Pierre Bembo, l’un des chefs de la quarante criminelle, développèrent et appuyèrent cette proposition. Un morne silence succéda. On lut le projet de délibération. On alla aux voix. Il y en eut cinq cent quatre-vingt-dix-huit pour l’adopter. En voici le texte : 1797, lw mai. EN GRAND CONSEIL, « Le sérénissime prince : « Vu le malheur des circonstances et le péril imminent de la patrie, le sénat ayant, dans sa prudence, jugé nécessaire d’envoyer deux députés auprès du général en chef Bonaparte, pour lâcher d’éviter la ruine dont la république et cette capitale sont menacées, et ayant autorisé ces deux citoyens et l’amiral des lagunes à entrer en négociation, le grand-conseil juge nécessaire d’éten-tlre leurs pouvoirs jusqu’à traiter, même sur des objets qui sont de la compétence de son autorité souveraine, sous la réserve cependant de sa ratification. a Et afin d’atteindre plus sûrement ce but, ils sont chargés de promettre au général en chef, conformément à sa demande, l’élargissement de toutes les personnes détenues à cause de leurs opinions politiques, depuis le moment où les armées françaises sont entrées en Italie, et d’après l’état qu’il a dit en avoir. a Expédition du présent sera remise au collège des sages et aux chefs du conseil des Dix, pour qu’ils en assurent l’exécution. « Valektin Mariai, secrétaire. » Celte délibération fut accompagnée d’une instruction, dans laquelle on recommandait aux commissaires de représenter que le gouvernement, privé de toute aulorité dans la lerre-ferme, se trouvait dans l’impossibilité de faire punir ceux quis’élaient rendus cfoupables envers les Français; quant au désarmement, on disait qu’il aurait lieu après l’accommodement; et enfin, relativement à la rupture avec l’Angleterre, qu’elle compromettrait les plus grands intérêts de la république. V. Le même jour qu’on prenait à Venise ces résolutions désespérées, le général français écrivait aux commissaires la lettre fulminante, datée de Palma-Nova, qui a été rapportée dans le livre précédent, et l’ambassadeur de Venise à Vienne rendait compte d’une conférence qu’il venait d’avoir avec le premier ministre autrichien. Cet ambassadeur n’avait pu encore pénétrer les conditions secrètes des préliminaires de Léoben ; mais il avait de funestes pressentiments. Le baron de Tliugut se tenait avec lui dans une réserve qui était de mauvais augure : il s’informait des nouvelles d’Italie, de la disposition des provinces vénitiennes; mais il paraissait prendre à leur insurrection un autre intérêt que celui d’un ami de la république. Trente et un bataillons, six mille chevaux, deux cents pièces de canon partaient de Vienne, quoique la paix parût indubitable, pour aller renforcer la ligne que l'armée autrichienne occupait sur le Lisonzo. Lorsque l’ambassadeur avait hasardé de demander au ministre si, après la paix, les troupes françaises séjourneraient encore dans les États autrichiens, le baron de Tliugut avait répondu qu’il ne pouvait s’expliquer sur cela. On avait à tirer des conséquences encore plus fâcheuses de quelques paroles échappées au marquis de Gallo, ambassadeur de Naples, qui avait eu part au traité. Ce ministre, en parlant des événements de Vérone, en attribuait le tort aux Vénitiens; et un interlocuteur, partisan de la république, lui ayant représenté que les Vénitiens avaient eu à repousser les agressions de l'armée, qui avait cherché à révolutionner le pays, le marquis avait répondu : ii Je sais bien que la France veut démocratiser le «gouvernement de Venise; mais quand elle ne « voudrait pas garder ce pays, il ne ferait que tom-« ber d’un danger dans un autre; la maison d’Au-« triche ne pourrait pas souffrir tranquillement «qu’une république, constituée sur le modèle de « la république française, s’établit si près de ses « États. » On disait à Vienne que les Français avaient un parti à Venise pour y opérer une révolution, et que cela fournirait peut-être un prétexte pour préparer des arrangements relatifs aux compensations dues à l’empereur; que l’Autriche observait attentivement les projets du général Bonaparte, ses opérations en Italie, pour se présenter comme médiatrice quand il en serait temps, ou même pour en tirer parti; et qu’enfin tous ces bouleversements pouvaient amener des événements semblables à ceux qui s’élaient passés en Pologne. L’ambassadeur vé-