HISTOIRE DE VENISE. institutions politiques, (¡es patriciens n’étaient pas voués exclusivement au métier lies armes. Tour-à-tour magistrats, commerçants, guerriers, administrateurs, ils avaient plus d’occasions de cultiver leur esprit, ou au moins de sentir le prix du savoir: aussi l’orgueilleuse ignorance leur a-t-elle quelquefois contesté leur noblesse. Un ambassadeur de France résidant à Venise vers la fin du xvie siècle, le président Duferrier, ne crut pas déroger en faisant quelquefois des leçons publiques, à l’exemple des seigneurs vénitiens; mais Brantôme, qui rapporte ce fait, ajoute « que cela « dérogeait fort à sa charge et à l’autorité du roi, « qui ne le trouva bon et ne lui en lit bonne chère « à son retour. » Celte anecdote prouve au moins que la noblesse vénitienne avait, fort antérieurement à celle de notre nation, secoué les préjugés peu favorables aux progrès des lumières. i.a discussion publique des affaires d’Êtat avait dù nécessairement faire cultiver l’art de la parole. Cependant l’orgueil national, bien préférable d’ailleurs à la vanité littéraire, avait maintenu un usage que l’intérêt de l’éloquence n’aurait pas conseillé. Il était défendu aux orateurs, dans les assemblées politiques, de se servir d’un autre idiome que du dialecte vénitien; l’emploi de la langue toscane n’était toléré que dans l’exorde. Cette règle était peu favorable sans doute au perfectionnement du langage; mais ce qui, à la longue, devait nuire bien plus essentiellement à la noble émulation de la jeunesse vénitienne, c’était la constitution de l’État, qui interdisait absolument aux plébéiens tout espoir de parvenir aux dignités par le mérite. L’oligarchie ne reconnaît point les droits du mérite, elle se contente des noms. Ce fut sans doute par cette cause que le nombre des écoliers de l’université de Padoue finit par se réduire de dix-huit mille à cinq ou six cents. On fonda bien à Venise un collège pour la noblesse pauvre; mais il n’y avait que qua-rante-six places gratuites; d’ailleurs, cette institution, quoiqu’elle eût un motif louable, n’était pas sans inconvénient; partout où on voudra élever séparément lesenfantsdesfamillcspuissantes, on peut être sùr qu’ils ne tarderont pas à se croire aussi supérieurs aux plébéiens par leurs lumières que par leur naissance, et qu’ils cesseront de faire des efforts pour l’être réellement. (1) « Ce siècle d'or,dit De Thoh, en terminant le 13« livre de son Histoire, vil fleurir el mourir Pierre Bembo, André Navagier, Egnazio, Fracastor, Jean-Baptisle Ramitsio, Nicolas Tartaglia. » Tous ces savants, dont l’historien, si digne de les apprécier, deplórela perte, étaient Véniliens. « Ils avaient monté à Padoue une école publique dans le dessein de rivaliser avcc l’université, et ensuite de la faire Bientôt on cessa d’exiger que les jeunes patriciens qui se destinaient à la magistrature, eussent fait une élude sérieuse des lois; et, en 1776, on punit un professeur deTrévise pour avoir examiné dans une thèse l’influence de la législation sur le bonheur des peuples. On avait fondé dans l’arsenal une école théorique de marine, qui eut quelques professeurs distingués; mais cette institution ne fut organisée qu’en 1774, il n’était plus temps. il y avait à Vérone une autre école spécialement destinée à renseignement des sciences qui tiennent à l’art militaire. Malheureusement, comme les nobles vénitiens dédaignaient tout autre service que celui de la marine, cette école ne fut fréquentée que par les nobles de terre-ferme, et on n’y décompta jamais qu’une vingtaine. Un autre établissement d’instruction publique fut fondé dans le Erioul, non immédiatement par le gouvernement vénitien, mais sous sa protection, par le célèbre général Barthélémy Alviane. Les Vénitiens lui avaient donné la petite ville de Porile-none qu’il avait conquise. Ce guerrier qui, malgré sa naissance obscure et sa gloire militaire, savait apprécier les lettres et ceux qui les cultivaient, s’entoura de plusieurs hommes illustres de son temps, dont la réputation s’est étendue jusqu’au nôtre, et devint le bienfaiteur des vassaux que la république lui avait donnes, en fondant, dans sa nouvelle résidence, une académie, où, à sa sollicitation, Jérôme Fracastor, et d’autres savants, voulurent donner des leçons publiques. Un autre genre d’institution destiné à répandre le goût de l’instruction, et à étendre les limites des connaissances humaines, fut adopté avec empressement par les Vénitiens, aussitôt que quelques villes d’Italie en curent donné l’exemple; je veux parler des académies. Le concours des hommes de divers rangs, animés d’un égal amour pour les lettres, qui se réunirent autour d’Alde-Manuce, lorsque ce savant imprimeur entreprit de publier les principaux chefs-d’œuvre de l’antiquité, si imparfaitement connus jusqu’alors, fut l’origine de la première société savante qui honora Venise par ses travaux. On y comptait André Navagier, Daniel Renier, le cardinal Bembo, Baptiste Egnalio, Marin Sanuto, Jean-Baptiste Ramu-sio (1). La juste célébrité de tous ces noms faisait tomber, en donnant de la réputation à leur collège. L’université s'aperçut bientôt de leur but, et députa un de ses membres pour en aller porter ses plaintes. Ce député fit au sénat un discours où il fit observer que le projet de ces pères étaient d'anéantir l’université de Padoue, comme iis l’avaient fait des autres de Tllulie, notamment de celle de Komc. «Au commencement, disait l’orateur, ils vinrent