LIVRE XXXIV. 167 un moine grec qui retournait à la charge, armé d’un grand cruciflx de fer; il lui demande ce qu’il prétend faire. Lasciate, lasciate, dit le moine, transposant dans sa fureur ses imprécations, et blasphémant sans s’en apercevoir, Christi malcilelti su la testa; « que je leur donne de ce maudit Christ sur la tête. » Ce terrible assaut avait déjà duré six heures, et les Turcs, loin de lâcher prise, s’acharnaient à forcer la place, lorsque Schullembourg, à la tête de huit cents hommes, débouche par une des portes, se précipite sur les ennemis, les prend en flanc, les met en désordre, en fait un horrible carnage, les chasse de tous les ouvrages qu’ils occupaient, et les oblige de fuir jusque dans leurs lignes, laissant au pied des remparts deux mille morts et vingt drapeaux. XVI. A ce combat succéda,une nuit horrible. Une tempête furieuse mit tous les vaisseaux en danger; des torrents de pluie inondèrent le camp et les tranchées; les tentes des Turcs furent renversées, déchirées par le vent. Dans ce désordre de la nature, le courage des assiégeants fut ébranlé. Us crurent que les moyens de quitter cette lie fatale allaient lenr être ravis; ils demandèrent à grands cris à se rembarquer. Au point du jour, on aperçut au loin sur la mer un grand nombre de voiles, c’était la flotte d’Espagne qui arrivait au secours de Corfou. Alors le séraskicr perdit toute espérance. Il fit donner avis de son projet au capilan-pacha, qui, dans la nuit suivante, envoya ses bâtiments légers, pour recueillir les restes de l’armée ottomane. Elle avait perdu quinze mille hommes dans ce siège de quarante-deux jours. L’embarquement se fit avec une telle précipitation, que beaucoup de soldats se noyèrent. Le lendemain, à la pointe du jour, un détachement de la garnison, envoyé à la découverte, fut étonné de ne pas rencontrer les ennemis à leurs avant-postes ordinaires. Il s’avança avec précaution, et trouva le camp abandonné. 11 y restait les tentes, les magasins, tout le bagage, cinquante-six canons, huit mortiers, et un grand nombre do blessés. I’isani, avec sa flotte, se mit alors à la poursuite des ennemis, mais ils avaient gagné les devants. Le vent, qui soufflait de l’est, avait permis au capitan-pacha de sortir du port de Butrinto, et retenait les gros vaisseaux vénitiens sur la côte de Corfou. Le capitaine-général continua la chasse avec ses bâtiments à rames, sans pouvoir atteindre la flotte turque, qui se jeta d’abord dans le port de Coron, et qui, ne s’y croyant pas en sûreté, rentra bientôt après dans les Dardanelles. Sainte-Maure cl Butrinto furent attaquées par Schullembourg, immédiatement après le départ des Turcs, et se rendirent sans résistance. Le gouvernement vénitien fit élever une statue à ce capitaine, dans cette place môme qu’il avait si vaillamment défendue. En voici l’inscription : Mathice Johanni Comiti à Schullemburgio, summo terrestrium co-piarum prœfecto, christianœ reipublicœ in Corcyrœ obsidione fortissimo assertori, adhuc viventi, sena-lus. Anno MDCCXV11. « Il n’y a que les républiques, dit Voltaire, qui rendent de tels honneurs. Les rois ne donnent que des récompenses. » Une circonstance ajoutait un nouveau prix à la statue que la reconnaissance publique venait d’ériger à Schullembourg ; c’est qu’elle s’élevait sur les débris de toutes celles que la basse adulation de la noblesse corflotc avait décernées à plusieurs provéditeurs, et que le sénat venait de faire abattre. Schullembourg, dont une telle récompense ne pouvait qu’élever le crédit, sut en profiter noblement. 11 demanda et obtint, pour les protestants, scs co-religionnaircs, toute la tolérance compatible avec les principesd’uu gouvernement qui n’accordait la publicité qu’au seul culte catholique. Pendant que les Vénitiens défendaient Corfou avec tant de succès, le prince Eugène consolidait leurs avantages par des victoires. Il battait les Turcs à Péterwaradiu, leur tuait trente mille hommes, et prenait la forteresse de Te-meswar. XVII. Ardent à profiter des faveurs de la fortune, les Vénitiens envoyèrent, au commencement de la campagne suivante, vingt-sept vaisseaux de ligne devant les Dardanelles, sous le commandement de Louis Flangini. Cet amiral y renconlra quarante-deux vaisseaux turcs, avec lesquels il engagea une vive canonnade, qui dura toute la nuit, à la clarté de la lune ; mais dont l’effet se réduisit à des dommages réciproques. Le lendemain, le surlendemain, les deux flottes se cherchèrent ou s’évitèrent, suivant qu’elles crurentavoir l’avantage de la position; ce ne fut que le troisième jour, le 16 juin 1717, que les Turcs engagèrent un véritable combat; les deux premières heures en furent terribles ; trois de leurs vaisseaux étaient coulés à fond ; celui du ca-pitan-pacha était fracassé; l’amiral vénitien voyait le sien démâté ; il répétait les signaux, pour que ses vaisseaux détruisissent la flotte turque qui commençait à se disperser, lorsqu’il fut atteint d’une blessure mortelle. 11 voulut rester sur le pont et continuer de donner des ordres jusqu’à son dernier soupir; mais sa mort ralentit la poursuite, etdonna à la flotte ottomane le temps de se réfugier dans le port de Stalimène. On sortait de ce combat, lorsque Pisani arriva avec l’escadre des galères, pour prendre le commandement dans l’Archipel. Les succès avaient fait