24 HISTOIRE DE VENISE. et il y avait déjà du désordre dans cette multitude de galères, qui se pressaient à l’entrée de la passe. Le corps de bataille des alliés était arrivé. S’il avait donné, une partie de l’armée turque était écrasée, et tombait au pouvoir des chrétiens; mais, au lieu de prendre part au combat, Doria fit le signal de la retraite. Tous les capitaines vénitiens, frappés d’é-lonnement, obéirent en frémissant. Quelques jours après, le 28 septembre, on se dirigea encore vers l’entrée de la passe : comme la Hotte, à cause de la faiblesse du vent, n’avait pu approcher que lentement, elle trouva l’ennemi hors du golfe, et rangé en bataille. Doria proposait de ne pas attaquer. Capello et Grimani soutinrent que ce serait une honte de se retirer sans avoir combattu. Le généralissime feignit de se laisser persuader, et se chargea de commencer le combat ; mais il manœuvrait pour attirer les Turcs au large, et Barbe-rousse au contraire se tenait en ligne près de la côte. L’amiral vénitien se mit sur un bâtiment léger, et s’étant fait conduire à portée de la galère du généralissime, il criait à Doria: « Nous perdons un « temps précieux, l’ennemi nous évite, donnez-moi «i l’ordre de commencer le combat. » Tous les équipages demandaient le combat. On s’avança vers l’ennemi; La canonnade fut vive. Les Turcs ne se laissaient point approcher, et on ne remarquait aucun désordre dans leur ligne. Le généralissime donna l’ordre de s’éloigner. Barberousse se mit en mouvement pour le suivre, atteignit les vaisseaux qui marchaient moins bien, et malgré la vive résistance qu’ils firent, il s’empara de quatre galères, deux espagnoles, une de Venise et une du pape. Deux autres galères vénitiennes furent incendiées, et sautèrent en l’air. Un si déplorable résultat, après un combat dont on avait conçu de si belles espérances, fit éclater toute l’armée en murmures contre Doria , surtout lorsqu'on vit Barberousse, énorgueilli de sa victoire, venir braver les alliés devant la rade de Corfou. Le sénat vénitien, qui savait dissimuler, écrivit cependant au général génois une lettre où on louait sa prudence, et où on lui exprimait toute la confiance de la république. S’il n’eût fallu que des talents pour la justifier, cette confiance n’aurait pu être mieux placée. Doria passait pour le plus habile homme de mer de son temps, et sa conduite, dans ces deux occasions, où il aurait pu se couvrir de gloire, était si inexplicable, qu’il fallait nécessairement, pour s’en rendre raison, remontera une autre cause qu’à son inimitié pour les Vénitiens. On remarquait en lui un chagrin profond, un embarras mal dissimulé, quand il se trouvait en présence des autres capitaines, et on était forcé de soupçonner que son inertie n’était que de la subordination. On eu fut convaincu lorsqu’au lieu de suivre l’avis de Capello, qui voulait que la flotte entrât dans l’Ar-chipel, il proposa de s’enfoncer dans le golfe de Venise, pour aller assiéger quelque place sur la côte d’Albanie. On suivit ses ordres, on se présenta devant Castcl-Nuovo, aux bouches de Cattaro. Les Vénitiens escaladèrent les murailles de cette forteresse, et en ouvrirent les portes aux Espagnols. La ville fut mise à feu et à sang. Les éléments servirent les alliés mieux que ne l'avait fait leur général. Une tempête dispersa la flotte de Barberousse, brisa trente de ses galères sur la côte, le reste se réfugia à la Vallone. Les Vénitiens demandaient à grands cris l'ordre d’aller les détruire; Doria objecta que les équipages étaient excessivement fatigués, que la saison était avancée, et déclara qu’il allait ramener la flotte impériale en Sicile. C’était certainement une faute de diviser la flotte, de quitter les parages de Corfou, qui offraient un asile sur, et un point d’où l’on était à portée d’observer les ennemis. Rien ne put le retenir. Eu partant, il ne voulut pas remettre la place de Castel-Nuovo aux Vénitiens, quoiqu’ils eussent eu la plus grande part à cette conquête, et quoiqu’elle dût leur rester, d’après le traité de confédération. 11 y établit une garnison espagnole, ainsi que dans quelques autres forts de cette côte, et s’éloigna, laissant les Vénitiens seuls à Corfou, et persuadés que l’empereur n’avait voulu des alliés que pour ménager scs propres forces, et pour se mettre en état de traiter plus favorablement avec les Turcs, en déployant une plus grande puissance. XI. Dans cette conviction, le sénat résolut d’entamer une négociation à Constantinople, pour obtenir une trêve générale, ou, s’il le fallait, une paix particulière entre la l’orte et la république. On chargea de faire les premières ouvertures le fils naturel du doge, qui avait eu beaucoup de part à la confiance des ministres et même du sultan. Cet agent arriva à Venise au commencement d’avril lo59; il apportait des nouvelles médiocrement satisfaisantes. Les esprits étaient fort aigris à Constantinople contre les Vénitiens; il n’avait pu obtenir qu’une trêve particulière de trois mois. Cependant, ce premier point obtenu laissait entrevoir quelque espérance. On fit repartir le négociateur secret, et on l’autorisa à annoncer qu’un ambassadeur le suivrait de près. Gritli, dans ce second voyage, obtint une prolongation de trêve jusqu’au mois de septembre. Elle durait encore, lorsqu’on apprit que Barberousse allait entrer dans le golfe avec cent cinquante voiles, pour mettre le siège devant Castel-Nuovo. Le gouverneur espagnol de celte place, effrayé de l’orage