I.1VRE XXVII. 51 Pour exécuter plus sûrement ses projets contre Chypre, il conclut une trêve de huit ans avec l’empereur, renouvela les traités subsistants avec les Vénitiens, et fit faire les préparatifs d’un armement considérable, en tâchant de donner le change sur sa destination. Un malheur survenu aux Vénitiens vint le confirmer dans son projet; ce malheur pouvait être pris pour un présage par un peuple tel que les Turcs, dont la croyance admet le dogme de la fatalité. En 1S5G9, le 15 septembre, au milieu de la nuit, une explosion épouvantable se lit entendre dans Venise; quatre églises furent renversées, beaucoup de maisons détruites, presque toutes ébranlées, des murailles, des tours furent lancées et dispersées dans les airs : les nobles couraient aux armes, la population éperdue errait çà et là, lorsque la lueur d’un incendie vint révéler la cause et l’étendue de ce désastre. L’arsenal était en feu, un magasin à poudre avait sauté. L’explosion se fit entendre à trente milles de distance; cependant il n’y eut pas un grand nombre de personnes victimes de cet accident, et la marine n’y perdit que quatre galères; niais la renommée publia que toutes les munitions navales de la république avaient été détruites. C’était un grand encouragement pour Sélim dans les projets hostiles qu’il méditait. III. Le baile de Venise ne tarda pas à les pénétrer, et à en donner avis au sénat ; on eut de la peine à y croire; on craignait d’exciter l’inquiétude du sultan en manifestant celle qu’on éprouvait : les ennemis qui veulent tromper comptent pour autant de griefs les soupçons qu’ils ont fait naître. Bientôt les nouvelles lettres de l'ambassadeur, la certitude (pion acquit d’un rassemblement de troupes, qui se dirigeaient vers la côte méridionale de l’Asie mineure, l’armement d’une flotte de transport dans les ports de la domination ottomane, l’impatience que le sultan ne prenait plus le soin de dissimuler, ses fréquentes visites à l’arsenal de Constantinople, pour presser les travaux, enfin l’arrestation de beau-eoup de marchands et de vaisseaux vénitiens, les Prétextes mêmes dont on cherchait à colorer ces Manies, ne permirent plus de douter que les Turcs ne préparassent une expédition d’outre-mer, et la Position des troupes indiquait assez que celte expédition devait être dirigée contre l’île de Chypre. On se hâta d’y envoyer quelques renforts, qui consistèrent en trois mille hommes d’infanterie, et 0n arma, avec toute la diligence possible, tout ce ^u il y avait de bâtiments de guerre à Venise, c’est-a-dire quatre-vingt-dix galères ou gros galions. Malgré la longue paix dont on venait de jouir, il fa||ut, dès l’origine de cette guerre, recourir, pour ayoir des fonds, aux moyens extraordinaires que la république n’employait que dans les grandes extrémités, les emprunts et la vente des charges publiques. On admit à voter dans le grand-conseil tous les jeunes nobles qui, n’ayant pas encore l’âge requis, paieraient une certaine somme, et la dignité de procurateur de Saint-Marc, la seconde après celle du doge, fut multipliée en faveur de ceux qui prêteraient à la république au-delà de vingt mille ducats; une partie du domaine public fut aliéné, le clergé fut imposé à trois décimes de ses revenus. Pendant que des courriers allaient avertir tous les commandants des colonies de se tenir prêts à repousser une invasion, tous les ministres de la république auprès des princes chrétiens sollicitaient leur coopération contre la nouvelle agression dont la chrétienté était menacée; mais l’empereur venait de conclure une trêve avec les Turcs; le roi de France, Charles IX, n’avait point de marine, son royaumeétaiten proie à la guerre civile, et la France avait déjà formé avec la Porte, depuis François Ier, cette union qui devait durer près de trois siècles; il n’y avait donc de secours à espérer que de l’Espagne cl de l’Italie. Celle-ci fit réellement quelques efforts; mais qu’était-ce que deux galères du pape, trois galères de Malte, quelques bâtiments du duc de Savoie et les troupes de Florence et du duc d’Urbin? Gènes ne fournit qu’une galère, cette république était occupée de ses affaires intérieures. Naplès et le Milanais appartenaient à l’Espagne. Tout se réduisait à savoir si le roi d’Espagne voulait sincèrement venir au secours de Venise. Le pape joignit ses sollicitations à celles des Vénitiens, pour le déterminer à embrasser une cause qui devait lui être commune. Ce prince, Philippe II, n’était pas de ceux qui entrent dans un parti avec chaleur et générosité : son caractère élait taciturne, sombre même, ses déterminations toujours lentes et subordonnées à ses intérêts : il ordonna à son amiral de réunir soixante galères à Messine, et de se tenir prêt à se joindre à la flotte vénitienne. IV. Toutes ces négociations et ces armements avaient trop de publicité, pour qu’on pût se flatter de conserver avec la Porte les apparences d’une bonne inlelligence. Le sénat jugea même qu'il n'avait plus rien à ménager, et comme il avait déjà des représailles à exercer, il fit arrêter un chiaoux envoyé par la Porte à la cour de France. Peu de temps après, un autre chiaoux fut expédié par le grand-seigneur à Venise. Cet envoyé ne reçut point d’honneurs à son arrivée dans cette capitale; introduit devant le collège, il baisa le pan de la robe du doge, prit place à sa droite, et présenta une bourse de