LIVRE XXVII. 39 le pape à l’armée de la ligue, et que se trouvaient le généralissime, l’amiral de l’Église et celui de la république : une seconde ligne de cinquante galères suivait, sous le commandement du provéditcur Barbarigo : enfin, Alvero de Bazzano, marquis de Sainte-Croix, amiral de Naples, fermait la marche avec trente galères. Tel était l’ordre de marche : dans l’ordre de bataille, l’avaut-garde et l’arrière-gnrdc devaient venir se mettre en ligne sur les ailes. Les vents retinrent la flotte (rois jours dans les parages de Céphalonie. Pendant ce moment d'inaction, un accident vint semer des germes de discorde parmi les confédérés. L’armée vénitienne ayant peu de troupes de terre, parce qu’on avait retenu, pour la défense de Venise, celles qui étaient destinées à la garnison des vaisseaux, on avait placé des détachements d’infanterie espagnole sur quelques-unes des galères de la république. Une rixe éclata entre les Espagnols et les Vénitiens dans la galère que commandait André Calerge; le capitaine fut insulté; un officier-général vénitien, envoyé pour apaiser le tumulte, fut frappé par les soldats espagnols et blessé grièvement. L’amiral Sébastien Vénicr, sans recourir à une autorité étrangère, ordonna que les officiers de ces mutins lui fussent amenés, et les fit pendre, sans forme de procès, à la vergue de sa ca-pitane. La fierté de don Juan d’Autriche fut vivement blessée de cet oubli de son autorité : on vit le moment où l’armée allait se séparer; mais Marc-Antoine Colonne , qui commandait l’escadre du pape, représenta au généralissime que, pour se livrer à un mouvement de colère, il allait dissoudre la ligue, et perdre l’occasion de se couvrir d’une gloire immortelle. On parvint à le calmer, mais avec beaucoup de peine, et dès ce moment il ne voulut plus avoir aucune relation avec l’amiral vénitien; les communications n’eurent plus lieu que par l’intermédiaire du provéditcur de la flotte, Augustin Barbarigo. Le capitan-pacha , instruit de l’approche des alliés, était sorti du golfe de Larta pour aller à leur rencontre ; sa droite était commandée par Mahomet Si|oco, sa gauche par le roi d’Alger Ullus-Ali ; il avait confié le centre au pacha Perlau. Les deux armées s’aperçurent le 7 octobre 1371 au point du jour; elles étaient à peu près d’égale force. Cinq cents galères se déployèrent dans le golfe de Lé-pante, non loin de cet ancien promontoire d’Ac-tium, fameux par la seule bataille navale qui ait décidé du sort d’un empire. XVI. Cette partie de la mer Ionienne forme un vaste bassin ; à l’orient la mer s’enfonce entre la cote d’Albanie et la presqu’île de Morée, pour forcer le golfe de Lépantc, qui est l’ancienne mer de Crissa, ou le golfe de Corinthe ; à l’occident les iles d’Ithaque et de Céphalonie ferment cette enceinte , ne laissant que deux étroits passages, l’un entre Ithaque et la côte d’Albanie, l’autre entre Céphalonie et la côte de Morée ; au milieu de ce bassin s’élèvent trois écueils, connus des anciens sous le nom d’iles Échinades (1571). Les confédérés arrivaient en longeant, du nord au sud, la côte d’Albanie; ils défilaient entre les écueils et la terre, dans le dessein de s’arrêter à l’cmbouchure d’une rivière qui est l’ancien Ache-loüs. Le corps de bataille avait à peine dépassé les écueils, qu’on découvrit la (lotte turque rangée parallèlement à la côte de Morée, à dix ou douze milles de distance. Quelques généraux espagnols, qui étaient chargés de recommander toujours au jeune généralissime cette circonspection que Philippe II estimait sur toutes choses, voulurent lui représenter qu’il était peut-être imprudent de hasarder une bataille qui allait décider du sort de la chrétienté. Mais don Juan , déjà animé par la vue de l’ennemi, leur répondit qu’il s’agissait d’agir et non de délibérer, et fit hisser sur sa galère les pavillons de tous les princes de la ligue; c’était le signal du combat : toute l’armée y répondit par des cris de victoire. A mesure que les galères sortaient du défilé, elles venaient prendre leur place de bataille, ne laissant entre elles qu’un intervalle où un vaisseau aurait pu passer. Cette ligne avait près de quatre milles de longueur. On avait affecté de ne point assigner aux bâtiments des diverses nations des places distinctes. Les Espagnols, les Vénitiens et les autres étaient mêlés dans les diverses divisions. La droite, sous les ordres de Jean-André Doria, était au large du côté de Céphalonie ; la gauche, que commandait le pro-véditeur Barbarigo, rasait la côte de Grèce. Au milieu étaient les trois commandants en chef, entourés du prince de Parme, amiral de Savoie ; du due d’Urbin, amiral de Gênes, de l’amiral de Naples et du commandeur de Caslilie. Les six galéasses vénitiennes couvraient le centre. Le provéditeur Quc-rini, la capitane de Sicile, et les galères de Malte, voltigeaient sur les ailes. Quand les Turcs aperçurent l’armée alliée qui débouchait du défilé, iis ne purent juger de sa force, parce qu’elle marchait en colonne, et lorsqu’ils virent la première division, qui était celle de Doria, s’éloigner vers la droite, lout de suite après avoir doublé les îles Échinades, ce qu’il faisait pour laisser au reste de l’armée l’espace nécessaire pour se déployer, ils jugèrent que son intention était d’éviter le combat, et de reprendre sa direction vers le nord. Aussitôt ils s’avancèrent pour atteindre les alliés, avant qu’ils eussent tous passé le détroit ;