500 HISTOIRE DE VENISE. ^la plus fortuite était réputée criminelle, si celui qui l’avait eue n'allait sur-le-champ en faire l’aveu aux inquisiteurs. Tous les ambassadeurs, dans leur correspondance, racontent avec quels signes de frayeur les patriciens s’éloignaient à la rencontre fortuite d’un étranger de marque. Les statuts du tribunal portaient qu’on aurait soin d’éprouver la fidélité des nobles, en leur faisant tendre des pièges. Ceux qui sortaient de cette épreuve sans avoir donné lieu à aucun reproche, n’en étaient pas moins placés sous la surveillance de deux agents de la police, parce que, disait-on, l’homme est fragile, et le plus vertueux peut ne pas persister dans ses bonnes résolutions. Et cette défense rigoureuse ne s’étendait pas seulement aux patriciens. Tous ceux qui avaient une part quelconque dans les affaires de la république, étaient obligés à la même circonspection. Le moine Paul Sarpi s’excusa de recevoir la visite de l’ambassadeur de France, qui avait témoigné le désir de faire la connaissance de cet homme célèbre, et il inotiva son refus sur ce que son titre de théologien consultant de la république, ne lui permettait pas de voir un ministre étranger. Isolés de tout ce qui tenait au gouvernement, les ambassadeurs ne pouvaient communiquer avec lui que par écrit, ou en se présentant devant le collège assemblé, et là ils ne recevaient qu’une réponse civile, mais dilatoire. Jamais les alfa ires ne se traitaient par interlocuteurs, à moins que, dans une circonstance extraordinaire, le sénat n’eût nommé un commissaire pour conférer avec lo ministre étranger. Après que le gouvernement avait délibéré une réponse, il envoyait un de ses secrétaires, pour en donner lecture au ministre à qui elle était adressée, et il était même autorisé à lui en laisser prendre copie. Ces entrevues d’uii moment, entre un agent subalterne et un ambassadeur, ne tardèrent pas à donner de l’ombrage. Les inquisiteurs d’Etat soupçonnèrent qu’on en pourrait profiter, pour corrompre, pour trahir, et ils poussèrent la précaution jusqu’à arrêter qu’on ne se servirait, pour ces mes- des inquisiteurs d'Étal, sur le simple soupçon d’avoir eu des relations avec l’ambassadeur d'Autriche. I.’année suivante, ce ministre, qui était alors M. de Rosemberg, ayant formé une liaison intime avec une grande dame, celle-ci se vit notifier l’ordre de ne plus recevbir ses visites. (1) Je dois à la complaisance de M. le bibliulhécaire de Saint-Laurent à Florence, des notices sur plusieurs manuscrits, dans l’une desquelles se trouve l’anecdote suivante, qui prouve que les bannis étaient hors du droit commun : o Uu nommé Maflféi Dernardi, accusé de trahison, s’était enfui de Venise, et vivait caché à Ravenne dans l’attente du jugement qui devait le condamner par contumace, le dégrader de noblesse et prononcer la confiscation de ses biens. Un autre gentilhomme le fait assassiner par un sages, que de secrétaires non initiés dans les conseils secrets, et que jamais le même secrétaire ne serait envoyé deux fois chez le même ambassadeur. Pour persuader aux étrangers qu’il était difficile et dangereux d’entretenir quelque intrigue secrète avec les nobles vénitiens, on imagina de faire avertir mystérieusement le nonce du pape (afin que les autres ministres en fussent informés), que l'inquisition avait autorisé les patriciens à poignarder quiconque essaierait de tenter leur fidélité. Mais craignant que les ambassadeurs ne prêtassent foi difficilement à un décret, qui en effet n’existait pas, l'inquisition voulut prouver qu’elle en était capable. Elle ordonna des recherches pour découvrir s’il n’y avait pas dans Venise quelque exilé au dessus du commun, qui eût rompu son ban; ensuite un des patriciens aux gages du tribunal, reçut la mission d’assassiner ce malheureux, et l’ordre de s’en vanter, en disant qu’il s’était porté à cet acte, parce que ce banni était l’agent d’un ministre étranger, et avait cherché à le corrompre (1). Remarquons que ceci n’est pas une simple anecdote; c’est une mesure projetée, délibérée, écrite d’avance; une règle de conduite tracée par des hommes graves à leurs successeurs, et consignée dans les statuts. Si quelque noble révélait au tribunal des propositions qui lui eussent été réellement faites, il lui était recommandé de feindre de s’y prêter, pour entretenir cette pratique; et quand on s’en était bien assuré, l’intermédiaire de cette intelligence, devait, aux termes des statuts, être enlevé et noyé, « pourvu, toutefois, ajoutait le règlement, que ce >< ne soit ni l’ambassadeur lui-même, ni le secrétaire Le manuscrit ne rapporte pas si le meurtrier fut absous, niais les arguments île la requête indiquent assez les dispositions du tribunal.