LIVRE XXIX. 71 lion des censures fût précédée de l’envoi d’un ambassadeur vénitien à Rome. Mais n'ayant pu amener le sénat à modifier ses conditions, il proposa de se rendre avec le doge et la seigneurie à l’église de Saint-Marc, où, après la messe, il donnerait une bénédiction ordinaire qui équivaudrait à la levée des censures. Cette proposition fut encore rejetée, parce que cette bénédiction pouvait être prise pour une absolution. Enfin le 21 avril, un secrétaire de la seigneurie se rendit, avec les deux ecclésiastiques arrêtés, chez le cardinal, où se trouvait l’ambassadeur de France près la république, et dit à celui-ci : « Monsieur, faire agir les ambassadeurs d’Esp3gnc eux-mêmes pour déterminer le pape à se désister de la demande du rappel des jésuites, et que lorsque le cardinal de Joyeuse renouvela ses instances à ce sujet, Donato le laissa quelque temps s’échauffer là-dessus, et en souriant lui avoua qu’il était inutile de tant insister sur ce point déjà réglé entre le pape et les ambassadeurs d’Espagne. Henri IV se croyait obligé de témoigner beaucoup d’intérêt aux jésuites. « Si vous pouvez obtenir du sénat, écrivait-il à son ministre Champigny, que les biens des jésuites soient gouvernés par le nonce, comme biens d’F.glise, dont la seigneurie n'a pas prétendu s'emparer, j’en aurai une satisfaction extrême. » Ce prince était cependant bien dispensé de la reconnaissance. On peut en juger par ce passage du récit des crimes imputés aux jésuites, fait par l’université de Paris en 1615. « Votre société tftoit universellement portée à allumer ce que les gens de bien vouloient éteindre. Jacques Commolet et Bernard Rouillet furent les trompettes de la sédition, et l'un d’eux lut assez impie pour prêcher, dans Saint-Bartbélemy, même après la conversion de Henri IV, qu’il falloit un Aod, fut-il moine, fùl-il soldat, fùt-il berger. Le procès-verbal du lieutenant de police constate que le conseil de la ligue se tenoit en votre maison professe de Saint-Paul, et l’auteur rapporte qu’un de vos pères persuada que l’on députât le prévôt Vatus, pour faire une entreprise sur la ville de Boulogne, afin d’y faire aborder l’armée que l’on altendoit d’Espagne. Votre collège de la rue St.-Jacques servoit aussi aux conciliabules secrets et aux conjurations horribles des ennemis de l'Elat, qui vouloient y établir la domination étrangère. C’étoit dans vos maisons que les Seize étudioient les excès de la rébellion ; en un mot votre demeure étoit un repaire de tigres et de tyranneaux ; les assassins y venoient aiguiser leurs épées contre la tète auguste de nos rois. Barrière y venoit animer sa frénétie par la doctrine furieuse et la conférence du P. Varade. Guigard y composoit ces horribles écrits qui le firent pendre peu après. Le P. Mathieu, second du nom, y faisoit signer par les Seize une cession entière du royaume à Philippe II, roi d’Espagne; et Jean Châ-lel y prenoit les belles leçons du parricide qu'il commit par après en la personne du meilleur de tous les princes; le panégyrique de Jacques Clément étoit le plus ordinaire entretien de ces assemblées. Voici quelques passages du jésuite Guignard : » Appellerons-nous (à la couronne) un Mcron Sardana- pale de France, un renard de Béarn?.....La couronne de France pouvoit et devoit être transférée à une autre famille que celle de Bourbon.....Le Béarnois scroit traité plus doucement qu’il ne mérite si on lui donnoit la couronne mona- « voilà lesdeux prisonniersqticlcsérénissimcprinco K envoie ainsi qu’il a été convenu, pour être consi-« gnés à votre excellence, par déférence pour le roi « très-chrétien, et en protestant que cet acte doit « être considéré comme ne portant aucune atteinte « au droit de juridiction que la république a sur les « ecclésiastiques. » L’ambassadeur répondit qu’il les recevait ainsi, et donna acte de cette consignation. Les prisonniers furent remis par l’ambassadeur à un ecclésiastique commissaire du pape, lequel invita les huissiers du conseil des Dix, qui les avaient amenés, à continuer de les garder. cale en quelque couvent bien réformé pour y faire pénitence ; que si on ne peut le déposer sans guerre, qu’on guerroyé; si on ne peut faire la guerre, qu’on le fasso mourir. » Henri IV avait résisté longtemps aux instances de la cour de Rome, lorsqu’il était lui même sollicité de consentir au retour des jésuites en France. « Ces gens, disait-il dans une lettre du 17 août 1598, se montraient encore si passionnés et si entreprenants, qu’ils étaient insupportables; ils conti-nuoienl à séduire mes sujets, à faire leurs menées, non tant pour vaincre et convertir ceux de contraire religion que pour prendre pied et autorité en mon Etat, s’enrichir et s’accroître aux dépends d’un chacun. » Dans une instruction adressée, au mois de janvier 1599, à Rruslard de Sillery, ambassadeur à Rome, on lit : < Sous le prétexte de religion, les jésuites troublent le repos de l’État, en s’entremêlant dans les affaires publiques, ce qui les a rendus si odieux, avec la convoitise qu’ils ont démontré avoir de s’accroître et de s’enrichir, et les attentats qui ont été faits contre la puissance de Sa Majesté à leur instigation, que si Sa Majesté eût secondé la volonté de ses sujets contre eux, ils eussent encore été traités plus rigoureusement qu’ils ne l’ont été.....Depuis leur bannissement, ils -n'ont cessé de faire en secret et en public toutes sortes de menées pour nourrir la discorde entre les sujets du roi, et décrier les actions de Sa Majesté, dont ils font profession de juger avec passion » (Mercure jésuitique, t. I, p. 583.) Ce prince se détermina pourtant à les rappeler dans ses États ; on peut en voir les raisons dans les Mémoires de Sully, qui nous a transmis cette conférence; la principale de ces raisons n’est pas honorable pour l’ordre. « Si je les jette dans le désespoir, disait Henri, je les jetterai pariccluy dans le dessein d’attenter à ma vie, ce qui la rendrait si misérable et langoureuse, demeurant ainsi toujours dans la défiance d’être empoisonné ou bien assassiné, qu’il me vaudrait mieux être déjà mort; car ces gens-là ont des intelligences et des correspondances partout, et grande dextérité à disposer les esprits ainsi qu’il leur plaît. » Au reste, Henri IV ne gagna rien à tous ces bons offices : les Français restèrent confondus avec les Vénitiens dans la haine que leur portaient les jésuites ; on lit dans Ies Mónita secreta de la société, qu’il faut expulser de l’ordre ceux qui se montreront partisans des Vénitiens ou des Français. « Re-tînendi etiam nullaleuussunt qui Venetos,Francos aut alios à quibus societas puisa et gravia damna passa est, in collo-quiis feront aut defendunt. » Chap. li, art. C.