108 HISTOIRE ÜE VENISE. stances de cette affaire. Cinq mois après, on vit le doge, accompagné de toute la noblesse, aller à la basilique de Saint-Marc, rendre publiquement des actions de grâce à la Providence. XXIX. H est une circonstance importante, sur laquelle on ne peut se dispenser de s’arrêter, parce qu’elle sert à faire apprécier la procédure. Cette procédure rapporte qu’aussitôt que, dans l’instruction, le nom du marquis de liedernar eut été prononcé, et qu’on eut dit que son palais était rempli de munitions, le conseil des Dix y envoya faire une perquisition, et qu’on y trouva une grande quantité d’armes et de poudre; qu’il vint au collège, où il parla avec beaucoup de hauteur, et où le doge lui répondit que les ambassadeurs n’avaient droit aux égards des gouvernements auprès (lesquels ils résidaient, qu’autant qu’ils exerçaient leur charge comme ils le devaient, et non quand ils complotaient la ruine d’une puissance amie, et la mort de tant de personnes innocentes. Le lendemain, ajoute la procédure, le nonce du pape et l’ambassadeur de France furent invités à venir devant le collège, où on leur lit part de la découverte de la conjuration, en les invitant à en rendre compte à leurs cours. Mais, et cette perquisition, et ces communications, bien que consignées dans un acte juridique, n’en sont pas moins des faits que la critique historique ne saurait admettre. D’abord, quant au rassemblement d’armes existant chez le marquis (le Bedemar, l’ambassadeur de France la nie formellement; et en effet, comment l’ambassadeur d’Espagne aurait-il pu oublier que le palais d’un ministre étranger, toujours rempli d’espions, était le lieu de Venise où l’on pouvait le moins former un pareil dépôt, à l’insu du gouvernement? Quant à la perquisition faite dans ce palais, l’ambassadeur de France n’en fait pas la moindre mention dans sa correspondance, ni le marquis de Bedemar, dans son rapport au roi d’Espagne; or, conçoit-on qu'ils eussent passé sous silence un fait aussi grave? Bedemar fit demander une audience au collège, le 23 mai, c’est-à-dire onze jours après l’éclat qu’avait fait la découverte de la conjuration : il y vint de son propre mouvement, et dans l’objet de demander des sûretés, pour sa maison et pour sa personne : les discours qu’il y tint sont d’un homme effrayé, embarrassé, si l’on veut; mais il ne se défendit qu’en termes généraux, et sans rien spécifier de tous les bruits injurieux répandus contre lui: il n’y fut question ni de la perquisition, ni des armes trouvées, ni même de la conjuration. Cette séance était présidée par le vice-doge, car 011 était alors dans un moment d’interrègne. Cette circonstance nous révèle l’inexactitude d’un autre passage de la procédure, où l’on ditquele nonce du pape et l’ambassadeur de France avaient été appelés, pour recevoir une communication sur ce qui s’était passé. Comment l’ambassadeur de France aurait-il été mandé, puisqu’il était alors absent? Comment aurait-il reçu cette notification de la bouche du vice-doge, puisqu’il raconte lui-même qu’il revint à Venise avec le nouveau doge Antoine Priuli? Comment, si on lui avait fait une pareille communication, aurait-il négligé d’en rendre compte, et se serait-il plaint au contraire du silence absolu que le gouvernement avait gardé sur un fait si important? Quant aux communications officielles, le même ministre écrivait : « De deçà l’on n’en ha parlé à it aucun ambassadeur, se doubtant qu’ayant été « témoings de ce qufs’est passé, ilz y ajouteroient (( peu de foi. » Ainsi l’existence des armes, la perquisition, les discours arrogants que les uns prêtent au marquis (le Bedemar, les espèces d’aveux que d’autres lui attribuent, les reproches du doge, la comparution du ministre de France au collège, sont des faits démentis par des écrits authentiques; par conséquent la procédure qui affirme tous ces faits ne l’est pas, ou au moins, si elle est officiel le, elle contient des inexactitudes, et ces inexactitudes volontaires démontreraient l'intention d’égarcr l’opinion. Et comment aurait-on fait des communications officielles aux ministres étrangers, sur une affaire dont le sénat n’obtint lui-même qu’une connaissance tardive et imparfaite? Ce grand corps, étonné de voir couler tant de sang, sans qu’on désignait lui en apprendre la cause, fut peut-être plus offensé du silence des décemvirs, qu’effrayé de leur précipitation à ordonner tant de supplices. Cependant , afin de garder les apparences, il se détermina à tenir pour bon et juridique tout ce qui avait été fait; mais, lorsque les membres du conseil des Dix voulurent donner quelques explications insuffisantes sur cette procédure, on la leur reprocha amèrement, en leur disant que puisqu’ils avaient rendu ce jugement, c’était à eux do le soutenir. « 11 ne s’en parlera plus, écrivait l’am-« bassadeur de France, et qui est mort à son dam. ' Cet étonnement, cette improbation des sénateurs, ne seraient pas explicables, si le secret de celte affaire eût été de nature à pouvoir leur être révélé. Il est juste d’entendre le marquis de Bedemar lui-même. XXX. Ce ministre a été peint comme un homme habile, mais odieux: je ne saurais dire jusqu’à quel point il pouvait mériter l’une ou l’autre de ces qualifications; mais la lecture de ses mémoires fait con- I naître qu’il n’avait pas porté, dans son ambassade