522 HISTOIRE DE VENISE. vite Paul Sarpi, qui, dans un grand nombre d’ouvrages, que les prétentions sans cesse renaissantes de la cour romaine lui donnèrent occasion de composer, en a laissé deux également remarquables, par une érudition semée avec goût, par la netteté, l’in-dépcndance, la linesse de l’esprit et l’heureux emploi de toutes les formes de l’éloquence démonstrative. L’un fut composé à l’occasion de l’interdit jeté sur la république par le pape Paul V : on y examine la nature des rapports de la puissance séculière avec la puissance ecclésiastique : et on y pose les limites de celle-ci. L’autre écrit a pour objet de restreindre les attributions et d’empêcher les abus de cet odieux tribunal connu sous le nom de saint-office. Le droit civil fut toujours urie des sciences cultivées avec le plus de soin dans l’JÉtat de Venise. Elle était indispensable à presque tous les patriciens; parce que, les magistratures étant fort nombreuses et temporaires, chacun était appelé plusieurs fois dans sa vie à siéger sur les tribunaux. L’antique renommée des universités leur avait donné autrefois une grande influence sur l’opinion, cl on avait vu les empereurs, dans leurs fréquentes disputes avec les papes, chercher à s’appuyer de l’avis des docteurs de Bologne ou dePadoue. L’exemple de ces augustes clients en avait attiré une foule d’autres. Les jurisconsultes de Padoue étaient les arbitres de tous les intérêts domestiques. Cette ville était en possession de fournir des magistrats à toute l’Italie. On vit Ferrare, Modène, Ancóne, Bologne, et jusqu’à Florence, lui demander plusieurs fois un de scs citoyens pour les gouverner. La liste des jurisconsultes célèbres qui ont professé dans cette école, ou qui en sont sortis, est immense, et à leur tête il faut placer le nom de Pan-cirole. Après la science des lois divines et celle des lois humaines, il convient de placer cette science qui, considérant l’homme comme être intelligent, a pour objet de diriger l’emploi de ses facultés morales, la philosophie. Dans les premiers siècles du moyen âge, elle se réduisait à l’art de l’argumentation, et encore en faisait-on presque toujours une application frivole. Des philosophes qui disputent devraient par cela même décréditer leur philosophie; mais les controverses ont d’autant plus d’attrait pour notre faible raison qu’elles lui sont moins accessibles. Celle qui s’éleva dans le quinzième siècle, au sujet d'Aristote, avait assurément toute l’obscurité requise pour que la dispute fût violente. Au lieu de reconnaître que Platon et Aristote ont été de très-grands hommes, qui, l’un comme l’autre, ont pu se tromper, on se partagea entre ces deux philosophes, quoiqu’on ne les connût encore que très-imparfaitement. Les admirateurs de l’un ne voulurent rien approuver dai)3 l’autre. Aristote, qui ne pouvait pas prévoir que ses écrits seraient un jour examinés dans les conciles, fut persécuté comme s’il eût été vivant; mais il trouva des disciples fidèles à sa cause. Il y eut de la fatalité dans celle querelle : deux ou trois fois elle sembla prête à s’éteindre, deux ou trois fois l’entêtement de l’ergotisme prit plaisir à la rallumer, et la guerre dura pendant plusieurs générations de philosophes. D’abord il faut convenir que ce furent les platoniciens qui eurent à se reprocher les premières hostilités. Trois moines portant le nom de Paul, et qui tous les trois y ajoutèrent le surnom de Vénitien, avaient travaillé pendant près d’un siècle à établir la philosophie d’Aristote : Paul Nicoletti, par un commentaire sur les ouvrages de cet ancien, et par un traité de la dialectique, qui lui valut le litre de prince et de monarque des philosophes; Paul Pcr-golan, par son traité de la logique; enfin Paul Albertini, par ses leçons publiques et par ses prédications. Lauro Quirini de Candie enseigna à Venise l’éthique d’Aristote avec un si grand concours d’auditeurs, qu’il fut obligé de donner ses leçons sur la place publique, Un philosophe grec, Jean Argyropole, vint prêcher la même doctrine à Padoue, à Florence, et, dans cette dernière ville, il compta parmi ses élèves le fameux Ange Politien et Laurent de Médicis, à qui on a donné le surnom de Magnifique. On voit que dans le quinzième siècle les péripa-téticiens étaient incontestablement en possession du terrain. Mais un autre Grec, Gémiste Piéton, qui était de la secte académique, arriva à Florence, et persuada à Cosme de Médicis d’y établir une académie platonicienne. Chaque jour on s’y réunissait : les sujets dont on devait s’entretenir étaient indiqués par une affiche. Médicis donnait des festins somptueux aux académiciens, et, à son exemple, le cardinal Bes-sarion fondait aussi une académie platonicienne à Rome. Jusque-là les deux sectes auraient pu \ ivre en paix. Malheureusement ce Gémiste Piéton s’avisa d’écrire contre Aristote. Théodore Gaza, zélépéripatéticien, lui répondit. La mort ne donna pas à Piéton le temps de répliquer. La querelle pouvait en demeurer là, elle n’était pas encore envenimée; maisBes-sarion, qui avait été le disciple de Piéton, ne crut pas pouvoir se dispenser de prendre la défense de son maître. Gaza se tut; George de Trébizondc n’eut pas la même modération, il attaqua avec violence et la philosophie de Platon et tous ses partisans. Le