278 HISTOIRE DE VENISE. donnaient entrée dans plusieurs conseils à la Fois. Un noble ne pouvait recevoir aucune grâc^quel-conque d’un prince étranger; les présents même que l’usage permet aux agents diplomatiques d’accepter, n’appartenaient pas aux ambassadeurs vénitiens, ils étaient obligés de les déposer en arrivant. On a vu les moindres infractions à cette règle sévèrement punies, et les rois de France solliciter en vain la république de permettre à scsambassadeurs de conserver un présent qu’ils avaient reçu. Les cardinaux eux-mêmes étaient soumis à cette règle; le roi de France ayant fait choix du cardinal vénitien Ottoboni pour exercer à Rome les fonctions de protecteur des affaires ecclésiastiques de France, le gouvernement vénitien refusa obstinément de l’y autoriser. Les nobles qui avaient des emplois ecclésiastiques, même les simples chevaliers de Malte, perdaient leurs droits politiques. J’ai eu plusieurs occasions de faire remarquer que, si la profession du commerce était interdite à la noblesse vénitienne, cette interdiction, qui se irouvaiten opposition avec l’esprit national, n’avait jamais été rigoureusement observée. Les nobles dans une ville commerçante, s’ils s’étaient interdit le négoce, auraient bientôt fini par être moins puissants, moins considérés que quelques-uns de leurs sujets. II y a plus : au mois d’octobre 1784, une proclamation invita tous les nobles à prendre part en leur nom et avec Jeurs capitaux aux établissements de commerce. Cependant il estdidicile de concilier la profession du commerce avec un privilège qui était attaché à la qualité de patricien, lequel consistait à ne pouvoir être emprisonné pour dettes, ni même cité que devant un tribunal de Venise. La force des choses maintenait les patriciens dans l’usage de faire le trafic; mais certainement le corps des négociants souffrait de celte association. Tantôt, comme spéculateurs, les nobles envahissaient les branches les plus lucratives du commerce; tantôt, comme fermiers des droits de l’Etat (car ils 11e négligeaient pas non plus ce moyen de fortune), ils influaient sur la fixation des tarifs au gré de leur cupidité : de sorle qu’on voyait les mêmes hommes, princes, législateurs, administrateurs, juges, fermiers de leurs revenus, cxacteurs des droits du fisc, et souvent trausgresseurs de leurs propres lois. Si le commerce leur fut interdit, l'exercice de la profession d’avocat 11e l’était pas; bien loin de là, ils étaient encouragés à s’y consacrer. Le grand-conseil élisait vingt-quatre patriciens, qui, soldés par l’E-lat, devaient exercer gratuitement la plus noble des professions; mais les préjugés prévalurent, et le barreau, qu’on avait vu composé entièrement de patriciens, finit par être abandonné à la citadinance. Ce fut une faute : il fallait se rappeler que l’aristo-eralie de l’ancienne Rome n’avait pas dédaigné ce moyen de célébrité, d’influence, de domination. Dans un Etat où la législation était fort compliquée, la science du droit devait donner une grande autorité à l’orateur qui avait de nombreux clients. Il les protégeait par son éloquence : il étail leur conseil, leur arbitré dans tous les ael^s de la vie privée : il tenait leur fortune en sa main. Mais cette influence, apanage du talent, cette popularité dangereuse, le gouvernement vénitien ne l’aurait vue qu’avec effroi, et ne permettait pas de l’acquérir. La méfiance du gouvernement s’opposait à ce que les orgueilleux, les ambitieux, les hommes de talent même, se perpétuassent dans les grands emplois. l’Ius un homme avait brillé dans une charge éminente, plus on se montrait impatient de l’en dépouiller : de là vient que dans cette histoire on voit passer si rapidement les principaux personnages. On n’a pas le temps de les connaître assez pour s’y attacher. Ils n’occupent la scène qu’un moment. O11 n'a vu d’exception que pour Victor l’isani, Charles Zeno et François Moro-sini, qui retinrent longtemps l’autorité, grâce aux périls de la république, et qui d’ailleurs tous les trois eurent un jugement à subir. Tous les nobles étaient vêtus d'une robe de laine noire, qui était aussi le vêtement des citadins. Les uns et les autres avaient des gondoles semblables. Les nobles n’ajoutaient aucun titre à leurs noms. Les distinctions extérieures étaient réservées pour les magistratures. Cette uniformité de vêlement avait quelques bons effets; elle mettail obstacle aux progrès du luxe, elle empêchait de distinguer les nobles des citadins, et préservait les premiers du mépris qu’ils auraient pu s’attirer par leur misère ou par leur inconduite, en même temps qu’elle faisait leur sûreté, en cas d’émeute populaire. Il était généralement défendu à tous les habitants nobles ou plébéiens de sortir avec des armes. Le port d’armes à feu était puni de mort; mais l’usage du sijlet s’élait introduit et ctait devenu tellement général, que cet instrument était un objet de commerce assez important. 11 y en avait une manufacture à Brescia. Il y eut des temps de trouble, où, par une exception que motivait la sùrclc des patriciens, on permit le port d’armes à quelques-uns; on les autorisait aussi à se faire accompagner par des gens armés. L’épée devint ensuite une partie habituelle du costume, et comme les plébéiens l’avaient adoptée, les nobles, pour se distinguer, ne se montrèrent plus qu'avec des pistolets. Fra-Paolo dénonce cet abus au gouvernement dans scs mémoires. Les nobles de terre-ferme, ne voulurent bientôt plus