LIVRE XXXIV. ICI cette reconnaissance, le roi d’Angleterre, lesÉtats-Généraux et le’roi deDanemarck signèrent une ligue, par laquelle iis se déclarèrent en faveur de l’empereur Léopold, qui avait déjà dans son parti les rois de Prusse et de Pologne, et presque tous les princes do l’empire. X. Les premières hostilités éclatèrent en Italie. Venise, qui avait fait déclarer sa neutralité aux cours de Vienne, de Versailles et de Madrid, voyait d’un côté, sur les bords du lac de Garde, une armée de soixante mille hommes, commandée par le maréchal de Catinat, sous le duc de Savoie; et de l’autre, le prince Eugène, qui descendait des montagnes de Trente, à la tête des Impériaux. Un officier vint annoncer au provéditeur de Vérone que l’armée aulrichienne allait passer sur le territoire de la république, ne manquant pas de vanter sa bonne discipline ; en effet le prince était en marche, et, sans égard pour la neutralité, il vint camper sur l’Adige, le 27 mai 1701. Les Français et les Pié-montais s’avancèrent pour lui en disputer le passage, et la province de Vérone se trouva le théâtre de la guerre : bientôt après, le fléau s’étendit sur le territoire de Brescia. Dans celle situation, les Vénitiens étaient forcés de faire des vœux pour que les Impériaux repoussassent les Français jusque dans le duché de Milan ; cependant ils étaient en même temps combattus par une autre crainte : comment souhaiter des succès durables à l’empereur, à un prince, qui, fidèle aux prétentions de ses prédécesseurs, disait toujours nia Péroné en parlant d’une place que la république possédait depuis trois cents ans? Le rappel de Catinat, le choix du maréchal de Villeroy pour le remplacer, la perfidie de Victor-Amédée, les affaires de Carpi et de Chiari, facilitèrent successivement au prince Eugène le passage de l’Adige, du Mincio, puis celui de l’Oglio , puis enfin celui de l’Adda ; et, grâce à ces événements, le territoire de la république, quoique toujours traversé par les troupes autrichiennes, cessa du moins d’étre ensanglanté. Mais le duc de Vendôme, successeur du maréchal de Villeroy, si heureusement fait prisonnier dans Crémone, arrêta les progrès des Impériaux. Il les battit à Luzara, et se préparait à pénétrer jusque dans l’évêché de Trente, lorsque la défection du duc de Savoie le força de rétrograder. On dit que, pour arrêter l’ennemi, ce général fut sur le point de couper les digues de l’Adige, et par conséquent de noyer une partie du territoire des Vénitiens. La fortune leur épargna ce désastre ; mais la neutralité de la république était journellement violée sur terre et sur mer. L’empereur faisait partir de Trieste des flottilles, HISTOIRE DE VENISE.—T. II. qui traversaient le golfe, et venaient porter à son armée des munitions et des renforts. Une petite escadre française vint jusqu’au fond de l’Adriatique intercepter ces convois. C’étaient autant d’atteintes portées au droit de souveraineté que la république prétendait sur le golfe. Il faut avouer qu’elle fournissait un prétexte aux violences des parties belligérantes, par le peu de soin qu’elle prenait de déguiser sa partialité. Les vaisseaux vénitiens allaient et venaient sans cesse d’une rive à l’autre, pour voi-turer des armes, des approvisionnements, des recrues à l’armée impériale. Le chevalier de Forbin, qui commandait la flottille française, en rencontra quatre-vingts en un seul convoi. Un détachement de son équipage fut massacré dans une ile vénitienne; enfin il apprit que le ministre autrichien avait acheté un vaisseau anglais de cinquante canons, et le faisait armer dans le port même de Ma-lamocco. Dès ce moment, l’amiral français se mit à arrêter toutes les barques vénitiennes qui venaient des ports autrichiens, à jeter à la mer tout ce dont elles étaient chargées, à les brûler; il brûla de même un vaisseau de cinquante canons, portant le pavillon de la république, sous prétexte qu’il l’avait rencontré à l’entrée d’un port impérial. Quelques jours après, il pénétra à minuit, avec trois chaloupes montées de cinquante hommes, dans le port de Malamocco, aborda le vaisseau anglais armé pour le compte de l’empereur, le surprit, s’en rendit maître, y mit le feu, se retira en emmenant ses prisonniers, et eut la satisfaction de voir sauter ce bâtiment ennemi au milieu du port. On peut juger de l’alarme que cet incendie, cette explosion, avaient répandue dans Venise. On croyait pallier toutes ces infractions au droit des gens, les Vénitiens en protestant de leur neutralité, les Français en arborant le pavillon espagnol, c’est-à-dire en imputant leurs violences à d’autres. Eugène et Vendôme se mesurèrent une seconde fois près de Cassano, où le premier fut battu, et cette victoire reporta encore la guerre sur la rive gauche de l’Oglio. Les États du duc de Savoie étaient envahis, en punition de sa défection : il ne lui restait que la place de Turin ; les Français étaient maîtres de tout le Milanais; Venise était alarmée du voisinage d’une si grande puissance, lorsque les malheurs que la France éprouvait d’un autre côté, firent appeler en Flandre le duc de Vendôme, et mirent le sort de l’Italie entre les mains du duc d’Orléans et du maréchal de Marsin. Une nouvelle bataille que le prince Eugène vint livrer à ces deux généraux devant Turin, fit perdre aux Français toutes leurs conquêtes. Maîtres du duché de Milan, les Autrichiens obligèrent Louis XIV à y renoncer, détachèrent une 11