1G2 HISTOIRE DE VENISE. armée qui alla s’emparer de Naples, et imposèrent des contributions à l’Italie, sans distinguer les neutres des ennemis. Eugène et Marlborough, Vendôme, Berwick et Villars s’illustraient, mais les disgrâces de la France étaient à leur comble. Les alliés exigeaient de Louis XIV, non-seulement qu’il abandonnât la cause de son petit-fils, mais qu’il aidât à le détrôner. L’archiduc Charles d’Autriche revenait d’Espagne en Allemagne, où il allait' ceindre la couronne impériale, et la république, en lui prodiguant les marques de respect à son passage, le qualifiait de roi d’Espagne, quoiqu’elle eût déjà donné le même titre à Philippe V. Enfin les victoires de V illa-Viciosa en Castillo, et de Dcnain en Flandre, ramenèrent les esprits des alliés à cette modération, seule base des pacifications durables. Un congrès avait été déjà ouvert à Ulrecht. La république, comme toutes les autres puissances, avait été invitée à y envoyer un plénipotentiaire; mais elle n’était ni partie belligérante, ni médiatrice jouissant de quelque influence; car son crédit n’alla pas jusqu’à se faire adjuger une indemnité pour les dommages que cette guerre lui avait occasionnés. Elle fut seulement témoin du traité, qui, complété l’année suivante par celui de Ilastadt, assigna l’Espagne et les Indes au petit-fils de Louis XlV, Gibraltar et Minorque à l’Angleterre, le Montferrat, une partie du Milanais et la Sicile au duc de Savoie, enfin Milan, Mantoue et Naples à la maison d’Autriche (1715-1714). Le résultat de celte guerre était de rendre les possessions autrichiennes contiguës à celles de la république, depuis les montagnes de la Dalmatie jusqu’à la rive gauche du Pô. On voit que toul le territoire continental des Vénitiens se trouvait enveloppé par celte grande puissance. XI. Veut-on savoir main tenant comment ils avaient été ménagés? voici quelques exemples qui feront juger du degré de considération qui leur restait. Quand le prince Eugène suivait les Français du côlé de Brescia, il jugea nécessaire d’occuper le poste de Chiari. Il y avait dans celte ville une petite garnison de deux cents hommes, qui en refusa l’entrée. Le prince se plaignit de ce refus comme d’un acte d’hostilité, et, partant de ce principe que l’immunité ne pouvait être réclamée que pour les places fortifiées, il menaça l’officier vénitien de le faire casser, en ajoutant qu’il allait faire forcer le passage. Le commandant intimidé n’insista plus, que pour obtenir une attestation de sa résistance, et le prince Eugène ne fit aucune difficulté de constater par sa signature l'insulte qui venait d’être laite à la république. Les Français ne se montrèrent pas plus disposés que leurs ennemis à respecter la neutralité des Vénitiens. Ayant trouvé dans la campagne de 170Í, un passage fermé par des barrières, près de Sangui ncllo, ils se mirent à les rompre. La garnison vénitienne du château voisin fit feu sur eux ; aussitôt les Français fondirent sur le château, s’en emparèrent, et le général envoya demander au gouverneur de la province une réparation éclatante de celle insulte. Le duc de Vendôme avait fait occuper par un de ses détachements le posle de Labadia , dans la Po-lésine, auquel il attachait quelque importance; le gouvernement de la république en sollicita avec instance l’évacuation, en promettant de le faire garder par ses troupes. Peu après que les Français en furent sortis, les Autrichiens se présentèrent : le commandant vénitien refusa d’ouvrir les portes : le prince Eugène le fit attaquer, et entra de vive force dans la place. Les deux parties belligérantes violaient tour-à-lour la neutralité des Vénitiens, et les rendaient responsables des violations qu’ils avaient souffertes. Il arriva en 1704 que les Impériaux passèrent sur les terres de la république pour aller brûler quelques maisons dans un district du Mantouan. Les Français entrèrent sur les terres de Venise, y mirent le feu à plusieurs villages, et quand le gouvernement en porta scs plaintes, il ne reçut pour toute satisfaction, que la menace de voir se renouveler cesjustes représailles, toutes les fois qu’il donnerait passage aux ennemis. L’état de guerre pouvait jusqu’à un certain point excuser de semblables violences, mais ce n’était pas seulement de la part des généraux que la république avait à supporter des hauteurs. Les gens de l’ambassadeur d’Angleterre ayant voulu introduire de la contrebande, les préposés de la douane visitèrent leur gondole et saisirent les marchandises. L’ambassadeur se plaignit de cet acte comme d’un attentat au droit des gens, et exigea non-seulement la restitution des objets confisqués, mais encore le châtiment des commis, qui furent punis d'avoir fait leur devoir, comme d’un crime. Onze de ces malheureux furent condamnés aux galères , et, avant d’être envoyés à la chaîne, promenés dans Venise, avec un écriteau qui indiquait leur faute, ou plutôt qui attestait la pusillanimité du gouvernement. Il y avait loin de ces temps à celui où le conseil des Dix faisait braquer deux pièces de canon devant la porte d’un ambassadeur, pour se faire livrer un coupable. Ces exemples prouvent où conduit un système de neutralité adopté par faiblesse. La guerre était moins dangereuse que de pareils outrages; mais quand on se détermine à la guerre, il ne faut pas