6 HISTOIRE DE VENISE. veillance, mais sans répondre directement à l’ambassadeur, s’était tourné gravement vers les autres ministres, et avait dit, en peu de mots, qu’une telle justification paraissait bien peu recevable. Si cette réponse ne laissait point d’espoir de reconquérir la confiance de l’empereur, la modération qu’il montrait aurait rassuré sur ses projets de vengeance des politiques moins pénétrants que les Vénitiens. Leur méfiance s’accrut encore quand ils apprirent avec quelle facile bonté Charles avait reçu les propositions d’accommodement que le pape lui avait fait faire. Il accorda la paix à cet allié infidèle; il promit même de lui faire rendre les villes de Reggio et de Rubiera, donc le duc de Ferrare s’ôtait emparé. Il est vrai que, pour prix de cette paix, il lui demanda deux cent mille ducats, dont scs généraux avaient un pressant besoin, pour retenir les troupes impériales sous les drapeaux. Une chose à laquelle les Vénitiens ne s’attendaient pas, ce fut de voir que, dans ce traité d’alliance entre l’empereur et le pape, les deux parties contractantes avaient réservé à la république la faculté d’y adhérer dans un délai de trois semaines. Ce fut pour elle une puissante raison de ne pas précipiter ses démarches. Rien ne désobligeait davantage ce gouvernement que la nécessité qu’on lui imposait de prendre un parti. Pendant ce temps-là il était sollicité par la régente de France, de ne pas perdre courage, et de ne pas abandonner la cause d’un allié malheureux. On apprit que le conseil de Madrid mettait pour prix à la liberté de son prisonnier la cession du duché de Milan, de la Provence et de la Bourgogne : que les troupes impériales n’évacueraient point les Etats de l’Église, malgré la paix : qu’on imaginait des prétextes pour grossir la contribution stipulée, et qu’on ne rendait point au saint-siège les villes de Rubiera et de lleggio. D’un autre côté, les généraux espagnols tenaient toutes les places de la Lombardie, et on les vit entrer dans Milan à main armée, obliger le nouveau duc, à qui l’empereur venait de donner l’investiture du duché, pour cinq cent mille ducats, à se réfugier dans le château, l’y bloquer étroitement, occuper sa capitale, et forcer le peuple de prêter serment à Charles-Quint. La cause de celle révolution était la découverte d’une conjuration Iramée, disait-on, par le chancelier du duc de Milan, pour f.iire perdre à l’empereur la couronne de Naples. IX. Cet événement ne laissait plus aucune incertitude sur les vues ambitieuses de l’empereur. Les Vénitiens sentirent qu’il n’y avait point de sûreté dans l’alliance de ce prince, et que peut-être le seul moyeu d’en être traités avec quelque ménagement, était de se présenter dans une attitude moins soumise. Ils parvinrent à persuader le pape, et à former une nouvelle ligue entre le saint-siége, l’Etat de Florence, et la république, par laquelle ces trois puissances se garantissaient mutuellement leur indépendance, et convenaient d’unir leurs forces pour la défense commune. Heureusement pour cette ligue, le roi d’Angleterre commença à voir avec inquiétude les progrès de la puissance de Charles-Quint; le roi de France acquit sa liberté par le traité de Madrid, qu’il ne tint pas; et peu de temps après, c’est-à-dire le 22 mars 1U2G, il conclut avec les confédérés une alliance, dont les conditions, si elles eussent été susceptibles d’être réalisées, auraient assuré la paix de l’Italie. Ce traité, qu’on appela le traité de Cognac, portait que le roi renonçait à ses prétentions sur le duché de Milan, que François Sforce le posséderait, en payant annuellement à la France une somme de cinquante mille ducats ; qu’enfin le roi conserverait le comté d’Asti et la souveraineté de Gênes. On voit que, si cet arrangement eut pu recevoir son exécution, les Vénitiens y auraient trouvé le grand avantage de n’avoir ni les Français ni les Allemands dans la Lombardie; mais c’était disposer des conquêtes de l’empereur sans son aveu. On lui avait réservé le droit d’adhérer au traité, à condition qu’il rendrait la liberté aux fils du roi, retenus en Espagne comme otages du traité de Madrid; qu’il se contenterait, pour leur rançon, d’une somme à régler ultérieurement, et qu’il cesserait d’exiger la cession de la Bourgogne. Pour appuyer ces propositions, la ligue devait lever une armée de deux mille cinq cents gendarmes, trois mille chevau-légcrs et trente mille hom* mes d'infanterie, et équiper une Hotte composée de trente et quelques galères. Les Vénitiens devaient fournir le tiers de ces forces, avec lesquelles on se promettait d’enlever aux Espagnols, non-seulement le Milanais, mais aussi le royaume de Naples. X. Comme on ne pouvait pas douter de la réponse de l’empereur, on se hâta de commencer les hostilités. Il n’y avait pas de temps à perdre; le château de Milan, où François Sforce se trouvait assiégé, était réduit à la dernière extrémité. L’armée vénitienne marcha pour le secourir; quelques troupes du pape s’y joignirent, et, après avoir emporté Lodi, se présentèrent devant Milan. Pendant ce temps-là les galères vénitiennes, sorties de Corfou, allaient prendre celles du pape à l’embouchure du Tibre, et se réunissaient à l’escadre française dans la mer de Toscane. C’était la première fois depuis l’entrée des troupes de Charles-Quint en Italie, que le gouvernement papal et le gouvernement vénitien