136 HISTOIRE DE VENISE. liens, voyant qu’avec toute leur activité et toute leur expérience, ils ne pouvaient ni détruire la flotte turque, qui reparaissait tous les ans plus considérable, ni empêcher l’armée de Candie de recevoir des renforts, conçurent l’idée de se hasarder dans les Dardanelles et d'aller brûler toute la marine ottomane, dans le port de la capitale. Ce projet audacieux effraya un sénat toujours circonspect. Riva continua de croiser à la sortie du détroit; le capitaine-général fitdcscoursesdansl’Archipel, ruinant les établissements des ennemis et leur prenant un grand nombre de bâtiments isolés. A Candie, les travaux du siège épuisaient une garnison qu’il fallait renouveler sans cesse. Les Turcs s’étaient étendus jusqu’à l’extrémité orientale de l’fle, et commençaient le siège de Settia. On se détermina à détacher sept ou huit cents hommes de la garnison de Candie, pour y jeter du renfort, mais ce corps fut surpris dans sa marche, entouré et taillé eu pièces. Alors les Vénitiens, désespérant de sauver Settia, en firent sauter les fortifications et en transportèrent la garnison dans la capitale (1680). AConstantinople, tout était dans la confusion. La flotte n’avait pu sortir des Dardanelles : le capitan-pacha, le divan, s’accusaient réciproquement : les janissaires demandaient la tète du grand-visir : on changeait de ministre, d’amiral. Cette guerre, si longue et mêlée de tant de succès divers, n’était pas populaire. Le corps des janissaires murmura hautement contre l’arrestation de l’ambassadeur de la république, et exigea l’exil du muphti, à qui on imputait cette violence. Le baile fut renvoyé à Venise. Tout ce que les Turcs purent faire cette année, ce fut de jeter dans l'île de Candie un renfort de trois mille hommes, qui ne réparait pas, à beaucoup près, les pertes de l’armée assiégeante. La flotte turque parvint cependant à franchir le détroit en 1681. XIV. Le généralissime Moncenigo alla à sa rencontre, l’aperçut, le 10 juillet, prèsde l’île de l'aros. Deux de scs galéasses, qui formaient son avant-garde, se jetèrent au milieu de la ligne ennemie. Thomas Moncenigo, qui en conduisait une, fut tué; Lazare Moncenigo, commandant de l’autre (car ce nom glorieux revient toujours dans les fastes militaires de la république), reçut plusieurs blessures ; mais ces deux bâtiments firent un feu si terrible, qu’ils avaient déjà mis le désordre dans l’armée ottomane, avant que la flotte vénitienne fût à portée de prendre part au combat. Quand elle arriva, la bataille fut décidée. Un vaisseau turc de soixante canons, et neuf autres de moindre grandeur, furent pris, cinq furent brûlés, et quatre ou cinq mille hommes demeurèrent au pouvoir du vainqueur. Cette victoire de Paros rendait les Vénitiens maîtres del’Archipel; et, pour ranimer le courage des défenseurs de Candie, la flotte victorieuse vintdé-filer à la vue de cette place, conduisant à sa suite les vaisseaux enlevés à l’ennemi, qui portaient le pavillon ottoman renversé. Cependant les restes de la flotte turque se jetèrent dans la Canée, et y débarquèrent des secours. De nouvelles révolutions éclatèrent à Constantinople. Les chefs des divers partis se supplantèrent mutuellement ; et, sous les yeux du jeune sultan, le sérail fut ensanglanté par le meurtre de la sultane sa grand’-mère. Venise changeait aussi dans ce tcmps-là son généralissime; mais ce rappel, loin d’être l’effet d’une révolution, n’était qu’un hommage rendu à cette ancienne maxime de la république, qui ne permettait pas que le commandement suprême restât longtemps dans les mêmes mains. Léonard Foscolo, successeur de Moncenigo dans la charge de capi-taine-général, eut à réprimer une révolte d’une partie de la garnison de Candie, composée d’Alba-nais, qui, mécontents de n’avoir pu obtenir une augmentation de paie, menaçaient de livrer à l’ennemi deux bastions, dont la garde leur était confiée. Le reste des troupes marcha contre ces mutins ; on les força de mettre bas les armes, et la corde fît justice des chefs de la sédition. Foscolo, en croisant dans l’Archipel, rencontra une escadre turque sur laquelle était le capitan-pacha lui même. Cet amiral, n’ayant pu faire sortir sa flotte des Dardanelles toujours étroitement bloquées, s’était embarqué à Ténédos sur vingt-cinq galères barbaresques, qui l’y attendaient. Cette escadre évita le combat, et se sauva, avec quelque perte, daus le port de Rhodes. Cette campagne de 1682 n’offrit point d’événement décisif; il y en eut un d’assez remarquable : ce fut la désertion et l’apostasie d’un noble vénitien nommé Louis Navagier, dernier rejeton d’une illustre famille. Il servait alors comme capitaine de vaisseau. La passion du jeu le ruina, et le désordre de scs affaires et de scs pensées l’entraîna jusqu’à changer de patrie et de religion. Il trouva chez les Turcs ce qui attend toujours les transfuges, d’abonl quelque faveur, puis le mépris, le soupçon et la mort. Quelques espérances de paix commencèrent à luire. L’ambassadeur de France à Constantinople donna avis au sénat que les ministres actuels ne paraissaient pas éloignés d’écouter de nouvelles propositions. On se hâta d’envoyer un baile, qui fut Jean Capello; mais lorsque ce négociateur eut demandé la restitution des conquêtes, en offrant cependant un tribut, le visir lui ordonna de partir sur-le-champ, et, se ravisant bientôt après, le fit