LIVRE XXXV. d’en venir à une rupture, dont le résultat ne pouvait être, pour l’une et pour l’autre, que des perles bien plus considérables que l’objet du litige. EnGn les Hollandais, après avoir accepté, puis refusé la proposition d’un arbitrage, se décidèrent à abandonner leur réclamation. Je ne placerais pas parmi les événements dignes d’etre recueillis par l’histoire, le voyage que l’empereur Joseph II lit à Venise en 1773, parce qu’il fut sans résultat ; ni de petites révoltes, qui éclatèrent dans l’ile de Zantc et dans la ville de Cattaro, si elles ne me fournissaient l’occasion de faire remarquer qu’elles donnèrent lieu à Immigration d’un assez grand nombre d’habitants déjà familiarisés avec la Russie, dont le pavillon s’était montré sur ces côtes. On vit aussi, en 1783, une émigration de quatre-vingts familles dalmates, qui passèrent à la fois sur le territoire ottoman; ainsi les sujets de Venise se réfugiaient à Saint-l’étersbourg et à Constantinople, pour échapper au despotisme de la république. Je me hâte d’arriver à l’événement qui termina l’existence de la républiqu». Louis Manini fut placé, en 1788, à la tète d’un gouvernement dont la décadence était visible sans doute, mais à qui rien n’annonçait alors une lin si prochaine. Il est remarquable que ce patricien , destiné au malheur de voir le sceptre de l’Élat se briser dans sa main, appartenait à une des familles les moins anciennement agrégées à l’ordre équestre, c’était ce que l’on appelait un noble de la quatrième classe. Ce succès de la nouvelle noblesse, qui venait de porter un de scs membres au trône, était déjà un symptôme de révolution. La première année du règne de ce doge fut marquée par une calamité publique, que le peuple ne manqua pas de prendre pour un funeste présage. Un incendie, tel qu’on n’en avait point vu de mémoire d’homme, éclata dans un des quartiers les plus resserrés de la capitale. Le feu avait pris dans un magasin rempli d'une immense quantité d’huile. En un instant, cette matière brûlante se répandit en dehors, les flammes roulaient sur les canaux, dévorant les barques, et atteignant des deux côtés les édifices; une fumée noire obscurcissait le jour, un torrent de feu parcourait la ville et interceptait les communications. II fallut attendre que cette huile fût totalement consumée, pour pouvoir approcher des édifices incendiés et y porter quelques secours. XIX. La paix que la république s’était obstinée à conserver, au milieu de toutes les agitations de l’Europe, pouvait avoir affaibli les ressorts politiques de l'Elat. mais elle avait permis à deux générations de s’écouler dans une tranquillité parfaite, parmi les jouissances d’une antique opulence due aux travaux de leurs ancêtres, et d’une considération attachée à de grands souvenirs, dont le prestige commençait à se dissiper. Mais, dans cet intervalle de soixante-dix ans, si la population s’était énervée, elle s’était accrue jusqu’à plus de trois millions d’âmes; elle était répartie ainsi qu’il suit: Provinces de la terre-ferme, sur la rive droite du Mincio........ 000,000 Provinces de la terre-ferme sur la rive gauche du Mincio, le Frioul et l’istrie . 1,800,000 Dalmatie.........237,000 Albanie.......... 51,000 Iles de la 1 mer JCéphalonie . . . 00,000 V 136,000 Prévésa . . . . 10,000' Corfou . . . . 48,000 Sainte-Maure . . 13,000 „Céphalonie . . . 60,000 I Xante. . . . . 20,000 Ithaque . . . . 4,000 Cérigo . . . . 9,000 2,914,000 La population de la capitale n’avait pas suivi les progrès de celle des provinces, car, suivant un recensement fait en 1769, elle se trouvait réduite à 149,476 âmes. Mais cette réduction ne portait pas sur les Juifs ; car leur nombre, qui n’était pas de mille au commencement du XVI0 siècle, s’élevait à cinq mille vers la fin du XVIIIe. On n’en comptait pas plus de trois cents riches; et un décret de 1777, provoqué par la jalousie des marchands vénitiens, vint réduire les concessions qui leur avaient été failcs pour leur négoce. Ils étaient chargés, par un article de leur capitulation, de tenir la banque des pauvres; celte banque fut supprimée en 1778, et on la remplaça par un mont-de-piété; les Juifs les plus opulents, voyant renaître la persécution, menacèrent de quitter Venise. Le Commerce de celte capitale était dans un tel étal de décadence qu’on ne pouvait se passer d’eux ; il fallut rapporter en 1780 le décret de 1777, leur rendre leur banque, leur permettre de rétablir leurs manufactures supprimées, et même leur accorder quelques nouveaux privilèges, comme, par exemple, celui d’avoir des navires en propriété. C’était une concession arrachée par les circonstances, la moitié des bâtiments existant dans le port se trouvaient alors à vendre. L’administration s’était perfectionnée à quelques égards, surtout elle s’était adoucie. La partie de la population dahnate qui ne professait pas la religion romaine, avait obtenu, en 1761, la permission d’avoir un évêque du rite grec, que le gouvernement avait doté. C’était une concession qu’on n’aurait pas osé faire dans un autre temps : elle attira à la