324 HISTOIRE DE VENISE. Le succès de son ouvrage excita l’émulation de cette illustre noblesse, qui avait tant d’exemples domestiques à célébrer. Le sénat décréta que l’histoire de la république serait continuée par un historiographe, toujours choisi parmi les patriciens. C’était sans doute restreindre le choix que de s’obliger à le faire dans un seul ordre; les considérations d’Etat prévalurent sur l’intérêt des lettres; mais c’était à la fois un hommage et un encouragement pour la noblesse studieuse, et il faut reconnaître que les choix furent faits de manière qu’on n’eut pas à se plaindre de cette restriction. On donna pour successeur à Sabellicus André Navagicr, qui apparemment ne fut pas content de son ouvrage, car, à sa mort, il ordonna de le brûler. Le cardinal Bembo, nommé après lui historiographe, continua les annales de sa patrie, qu’il conduisit jusqu’au règne de Léon X. Imitateur passionné du style de Cicéron, que ses contemporains le félicitaient d’avoir rendu à l’Italie, il poussait le scrupule jusqu'à s’interdire la lecture du bréviaire, de peur de se gâter le style. Non content d’avoir donné un modèle de la belle latinité, il voulut en laisser un dans la langue vulgaire, et traduire lui-même son histoire en italien. Peut-être désirerait-on dans son ouvrage un peu moins d’éloquence et plus de recherches; mais l’historien de la littérature vénitienne l’en excuse, en faisant observer qu’cxclu, par sa qualité d’homme d’église, de toute participation aux secrets de l’Etat, ce nouvel historiographe n’eut aucun accès dans les archives publiques. Au reste, M. Morelli a publié dans ces derniers temps une édition de cette histoire d’après un manuscrit plus complet, où se retrouvent quelques passages qui avaient été supprimés. Après lui, Paul Parula, abandonnant l’usage de la langue latine, continua l'histoire générale de Venise, et écrivit la guerre de Chypre, l’une et l’autre en italien. Le premier, il eut le mérite d’introduire dans sa narration les détails de l’histoire civile, ordinairement dédaignés par les écrivains, au milieu (1) Voici la liste des historiographes. I,’histoire de Sabki.licus va depuis la fondation de la république jusqu’à l’an 1484; Celle d’André Navagier est perdue ; Le cardinal Beiibo conduisit la sienne de 1487 jusqu’en 1512; Paul Paruta, de 1513 à 1552 ; André Monosim, de 1521 à 1615; cette histoire est fameuse par la beauté de la latinité. Ascanio Molini en a donné une traduction en italien; Baptiste Nam, de 1613 à 1644 ; Michel Foscarim, de 1644 à 1690; Pierre Garzom, de 1632 à 1713 ; , des récits des guerres et des révolutions. Ces détails ne pouvaient être négligés par un observateur, qui, dans ses discours politiques, avait approfondi l’organisation des gouvernements les plus célèbres dans l’antiquité, développé les causes de la grandeur et de la décadence des Romains, comparé leur histoire à celle de sa patrie, et fait admirer dans ses jugements la sagacité, l’étendue et la justesse de son esprit (1). Hors de la liste des écrivains officiels, il suffit de nommer le cardinal Gaspard Contarini, de qui il existe un traité du gouvernement de Venise; André Monccnigo, l’historien de la ligue de Cambrai; Pierre Justiniani, dont l’histoire générale est préférée à toutes les autres; Jacques Diedo, qui conduisit la sienne jusqu’au dernier siècle; le savant Victor Sandi, qui consacra spécialement ses soins à débrouiller l’histoire civile ; Charles Marin, qui, dans les annales de sa patrie, s’attacha à considérer les progrès et la décadence du commerce. Enfin, je ne dois pas omettre, quoique nous ne soyons pas à portée d’apprécier son mérite, le cardinal Valliero, qui avait écrit une histoire philosophique de Venise; ce titre seul doit faire regretter qu’elle n’ait pas vu le jour. Quelques Vénitiens, peut-être pour écrire avec plus d’indépendance, se livrèrent à l’étude de l’histoire étrangère. Jean-Michel Brulo écrivit les annales de Florence, avec une telle liberté que les Médicis voulurent en acheter tous les exemplaires, pour empêcher cet ouvrage de parvenir à la postérité. Jean-Pierre Maffei de Bergame écrivit l’histoire des Indes orientales. Paul-Émili de Vérone, à la sollicitation du roi Louis XII, et Davila, ont traité, l’un en latin, l’autre en italien, l’histoire de France; enfin, Paul Sarpi s’est immortalisé par un chef-d’œuvre, l’histoire du concile de Trente. Un Vénitien, Jacques Bonfadio, fut appelé par le gouvernement de Gênes à une chaire de philosophie, et, chargé d’écrire l’histoire de cette république, il s’en acquitta avec le plus grand succès. Son ouvrage est également estimé pour l’ordre, la clarté, la sage Marc Foscariki écrivit l'histoire de la littérature vénitienne ; Nicolas Doka reprit l’histoire politique de sa patrie; mais son ouvrage n'a point été imprimé; il remontait, dit-on, jusqu’aux premiers temps de la république, et arrivait jusque vers le milieu du xv m« siècle. Après la mort de celui-ci, qui eut lieu en 1765, le conseil des Dix offrit la charge d’historiographe à plusieurs citadins qui n’osèrent l’accepter. La place resta vacante pendant neuf ans; enfin elle fut donnée à François Dona, fils du précédent. Il vit périr la république et n’eut garde d écrire l’histoire de ses derniers moments. On voit que depuis près d’un siècle la composition ou au moins la publication de cette histoire était interrompue.