LIVRE XL. 30 i) traduire les poètes et surtout les philosophes de la Grèce. Les rois de Sicile donnaient l’exemple de l’accueil dû à ces étrangers. Leur munificence fut imitée, peut-être avec quelque ostentation, par les seigneurs qui s’étaient érigés en souverains dans plusieurs villes de l’Italie septentrionale. Leurs palais, souvent souillés par des crimes, purent du moins s’honorer d’être quelquefois l’asile de savants voyageurs et même d’illustres exilés. On ne voit pas que le gouvernement de Venise ait partagé si tôt cette émulation, mais il est juste de faire remarquer qu’à cetlc époque le territoire de la république ne s’étendait pas encore au delà des lagunes. Toutes ses conquêtes sur le continent de l’Italie datent du xve siècle, à l’exception de la rnar* che Trévisane, occupée une première fois en 1538, cédée en 1381 et recouvrée en 1388. Il était dilli-cile que sur une population de deux cent mille âmes, qui pouvait à peine suffire à l’activité du commerce et à des guerres sans cesse renaissantes, beaucoup d’esprits pussent sc livrer aux arts de la paix, mais cette population ne tarda pas à suivre les progrès du siècle. Il y avait dans les provinces qui bientôt après composèrent le domaine de la république, plusieurs villes fort anciennes. Quelques-unes, bien antérieurement à leur agrégation à cet État, jouissaient de cette espèce d’illustration que donnent à leur terre natale ces heureux génies, doués du privilège d'é-lever les monuments les plus durables qui soient connus parmi les hommes. Tout le monde sait que Tite-live était Padouan, que Pline le jeune, Catulle, Cornélius Nepos et Vitruve étaient Véronais; mais la république de Venise ne peut entrer en partage de la gloire de ces villes, qu’à compter du moment où elle fut leur métropole. III. Florence, devenue l’Athènes de l’Italie, au milieu des orages et des factions, apprenait aux peuples qu’il est une gloire douce et durable. Il était réservé à trois de ses citoyens, de faire connaître à leurs contemporains les richesses des langues anciennes et de créer la langue nationale. Bologne et l’adoue avaient des universités déjà célèbres; Pise, Milan, Pavie, étaient des villes savantes. On s’occupait d’y rassembler, de transcrire, de traduire des manuscrits. Les ennemis de la gloire de Venise ont attribué au Dante une lettre satirique, où, à la faveur d’un nom célèbre, on veut accréditer un reproche général d’ignorance adressé à tout un peuple, dont la prospérité faisait tant de jaloux. Mais d’abord la plupart des critiques n’admettent point que cette lettre, ou plutôt cette invective, soit du Dante, et quelque autoriléque put avoir ce grand nom, il n’en faudrait pas moins exa- miner si le reproche était mérité. Or il est constant que Pétrarque, compatriote et presque contemporain du Dante, jugeait les Vénitiens plus favorablement. Ce grand homme, qui, par scs talents, son zèle et sa glorieuse influence, était alors le restaurateur des lettres, Pétrarque, donnait l’exemple de ces utiles travaux. Ses liaisons avec les princes de la maison de Carrare l’avaient amené plusieurs fois à Venise, pour y traiter de leurs intérêts. Il aimait le séjour de cette capitale, où l’amitié de quelques hommes rccommaudables, surtout celle du doge André Dandolo, le retenait. Il y déposa sa bibliothèque, dont il fit don à la république. C’est un témoignage irrécusable, qu’il y avait alors dans Venise des hommes capables d’en profiter; car le fondateur, passionné pour son trésor, n’aurait pas voulu le confier à des mains indignes. En effet, la république prouva qu’elle en connaissait le prix, par les honneurs dont elle combla l’illustre poète. Le doge André Dandolo, que sou érudition faisait rechercher de Pétrarque, élevait alors le premier monument littéraire de sa patrie : c’est une histoire re-nyirquablc parson exactitude et sa simplicité ; elle est écrite en latin. Il n’y avait pas longtemps que le Dante avait fait l’essai de la langue vulgaire, et que Pétrarque et lioccace en avaient révélé toutes les richesses. Les premiers Italiens qui s'exercèrent dans la poésie, empruntèrent l’idiome des troubadours. Ce fut dans cet idiome que le Vénitien Barthélémy Giorgi composa, au treizième siècle, quelques pièces de vers qui ont échappé à la nuit des temps. Une Vénitienne, Christine Pisani, mariée en France, y cultivait la poésie avec assez de succès pour mériter d’être célébrée par Clément Marot : D'avoir le prix en science et doctrine, Bien mérita de l’isan la Christine. On n’osait pas encore se livrer à l’emploi de la langue vulgaire, parce que la bizarrerie du sujet choisi par le Dante avait répandu de l’obscurité dans son style. Ce poète avait déjà besoin d’être traité comme un ancien, et il trouva dans le Vénitien Paul Albcrlini uu savant commentateur. Le latin était la langue de l’histoire et de la philosophie ; un noble de la ville de Trau, nommé Coriolan Cippico, s’occupait de lui rendre tout son ancien éclat dans un ouvrage intitulé : Vc linrjuœ latinœ reparalione. Grâce à ses relations avec l’Orient, Venise passait pour une des villes où la langue grecque était le plus cultivée. Aussi lorsque le pape Nicolas V, vers le milieu du quinzième siècle, encouragea les hommes de lettres à traduire les chefs-d’œuvre de la littérature ancienne, plusieurs Vénitiens signalèrent-ils leur zèle et leurs connaissances dans cet utile travail. Ce pape leur en avait donné l'exemple. Lui-même avait été longtemps un labo-