90 HISTOIRE DE VENISE. vaicnt établir des impôts, lever des troupes, disposer des finances et de presque tous les emplois, à leur gré, faire ou violer les lois ; ils administraient eux-inèrnes la justice criminelle et civile, exerçaient le droit de faire grâce, et suivaient, souvent sans beau-coupderisque, une autredircction que celle de leur gouvernement. Telle était à peu près la puissance d’uu vice-roi de Naples ; il commandait à douze provinces, tenait une cour, était entouré de six grands officiers de la couronne, voyait auprès de lui des résidents étrangers, par lesquels il correspondait immédiatement avec d’autres puissances. Seulement il était assisté d’un conseil-d’état, qu’il ne pouvait guère se dispenser de consulter dans certaines affaires; mais ce conseil, qu’on appelait le collatéral, et qui s’assemblait sous sa présidence, n’était composé que de onze membres, dont trois étaient espagnols, et huit italiens. Ces conseillers, quoique revêtus du titre de régents du royaume, étaient, pour la plupart, sous la dépendance du gouverneur. Dans la capitale, l’autorité principale était exercée par un corps de sept magistrats, appelés les élus, parce qu’ils étaient choisis par le peuple. Six de ces magistrats étaient des seigneurs ; un seul devait être pris parmi les habitants non nobles. Mais cette charge , précisément parce qu’elle était unique, était d’une grande importance; l’élu du peuple jouissait du titre d’excellence et de toute la considération qu’on ne peut refuser au chef naturel d’une population nombreuse et remuante. Le duc d’Ossone s’annonça dans son gouvernement de Naples par une proclamation propre à lui concilier au moins les suffrages populaires ; elle ordonnait de poursuivre les malfaiteurs, sans avoir égard à la qualité des personnes; défendait aux seigneurs de tenir des bandits^à leurs gages, ou de les protéger; recommandait sévèrement aux tribunaux d’administrer la justice, sans se laisser intimider par les hommes puissants, et défendait aux nobles de traiter le peuple avec mépris. De celte proclamation de ses intentions, le vicc-roi passa aux effets. Un seigneur du nom de François Renaldi, s’étant permis de dire qu’il ne fallait parler au peuple qu’avec le bâton, fut condamné à une amende et mis en prison. Dans les deux premières années de l’administration du nouveau gouverneur, plus de trente nobles périrent par la main du bourreau. Le duc supprima l’impôt qui se prélevait sur le pain, et en fit baisser le prix d’un tiers. Un jour qu’il traversait le marché, il vit un commis de l’octroi qui pesait des denrées ; il tira son épée, et coupa les cordes de la balance, en disant que les fruits de la terre étaient des dons du ciel, le prix du travail du pauvre peuple, cl qu’il était injuste de les assujettir à un impôt. Il n’en fallait pas tant pour être appelé le bon vice-roi, le père des pauvres, et pour devenir l’idole des Napolitains. Mais, en même temps, il devenait aussi l’objet de la haine des grands, malgré quelques cajoleries, par lesquelles il Uattait ceux qu’il croyait pouvoir s’attacher. Dans les commencements, il prit peu de soin de se concilier les suffrages du clergé. Entre divers actes de son autorité, un de ceux dont les peuples lui tinrent le plus de compte, fut son opposition à un impôt que les jésuites voulaient faire établir à leur profit. Sous le prétexte de bâtir une église, où l’on devait prier perpétuellement pour la prospérité de la maison d’Espagne, ils avaient obtenu, de la cour, la concession d'un impôt, fort modique en apparence, sur chaque livre de pain qui se consommerait dans le royaume de Naples. Le vice-roi refusa de les mettre en jouissance d’une concession établie à son insu; et sa fermeté préserva le peuple de cette taxe. 11 lui lallutencore plus de courage pour empêcher l’établissement de l’inquisition dans le royaume. La cour de Rome méditait depuis longtemps cette conquête : le pape Paul V en fit, en quelque sorte, le prix du chapeau de cardinal qu’il envoya au duc de Lcrme. Ce premier ministre fit passer l’affaire dans le conseil de Madrid, et écrivit au vice-roi, que ce serait acquérir de nouveaux titres aux bontés du monarque, et rendre un grand service à la couronne, que de contribuer à une œuvre si sainte. Le duc répondit qu’on avait perdu la Hollande pour avoir voulu y introduire le saint-office, et que cet exemple devait servir de leçon. Sa résistance fut encore couronnée du succès. Mais il était dangereux de résister deux fois aux ordres de Madrid, et de s’attirer l’inimitié des jésuites et de la cour de Rome. Le duc de Lerme, comme premier ministre, et le duc d’Uzeda son fils, comme favori de Philippe III, se partageaient alors toute l’autorité en Espagne. Le premier s’était jeté aveuglément entre les bras des jésuites , et paraissait ne gouverner que par eux. Il en résulta pour le duc d’Ossone quelques désagréments, qui ne pouvaient être que très-sensibles à un homme fier et extrêmement irritable. VII. Il avait auprès de lui, en qualité de capitaine de ses gardes, un gentilhomme ou aventurier français nommé Laverrière, à qui il donna part dans sa confiance, jusqu’à lui laisser entrevoir le ressentiment qui l’aigrissait contre la cour d’Espagne. Ce Laverrière communiqua cette découverte à un autre Français de ses amis, gentilhomme dauphinois, dont le nom était Deveynes. (¡es deux étrangers comprirent tout le parti