LIVRE XXXVI. 209 Le 17 décembre, l’inquisilion d’État adressa au collège une nouvelle note ainsi conçue : « Le tribunal a été averti que le résident d’Angleterre se proposait de lui adresser directement une communication dictée, dit-il, par les sentiments qu’il professe pour le gouvernement vénitien. Le tribunalcroit devoir la transmettre confidentiellement au collège des sages, pour qu’ils en fassent l’usage qu’ils jugeront convenable. « On prétend que les Français ont offert des sommes immenses au ministère ottoman, pour exciter la Porte à déclarer la guerre à l’empereur et à la Russie, afin d’opérer une diversion en faveur de la France. On dit que, n’ayant pas trouvé le moyen d’y réussir facilement, ils tentent de l’engager à attaquer la république de Venise. Ils calculent que la république, se voyant attaquée, sera obligée d’appeler les Impériaux à son secours, de manière que ceux-ci, sans avoir été provoques directement par les Turcs, se trouveront en guerre avec eux. Outre les sommes ci-dessus énoncées, on promet à la Porte de lui laisser la partie des Étals vénitiens que ses armées auraient conquise. On ajoute que, du côté des Grisons, les Français intriguent contre Venise, et s’efforcent de réveiller le ressentiment de ces peuples. Leur objet est de s’ouvrir, par cette voie, une communication avec la Lombardie autrichienne. « Le résident prétend en outre que le renvoi de la légation française aurait cet avantage, qu’il priverait cette nation d’un passage pour ses courriers, pour ses messages,et que cette mesure feraitavorter le complot ourdi dans le sein de la république; qu’au surplus elle peut se tenir assurée d'être défendue par toutes les forces de la Grande-Bretagne et des princes coalisés. » Cette note donne une idée des moyens qui étaient mis en usage, pour arracher le gouvernement vénitien à son système de neutralité. XVIII. Pendant toutes ces délibérations, les armées françaises avaient terminé la campagne de 1793 par des avantages assez considérables. La bataille d’Hondscoote, et surtout celle de Watignies, avaient rétabli les affaires de la république dans le Nord ; et au Midi les troupes étrangères fuyaient de Toulon, qu’elles laissaient en proie aux flammes (1794). Quelques symptômes d’agitation s’étaient manifestés en Italie vers la fin de cette année. On ne pouvait pas encore les caractériser comme une insurrection, mais on pouvait en concevoir quelque inquiétude. Les Etats de Venise eux-mêmes n'en fu-rentjias toul-à-fait exempts. Les étudiants de l’université de l’adoue se livrèrent à une effervescence qui tenait peut-être encore plus à la légèreté de leur HISTOIRE DE VESISK.—T. II. âge, qu'à l'influence des idées nouvelles. Mais ce mouvement fut calmé sans effort, même sans rigueur. On craignait surtout pour les provinces les plus voisines du Milanais, c’cst-à-direpour Bergame et Brescia. L’inquisition d’Élat y envoya un agent spécialement chargé de surveiller et d’arrêter les progrès du fanatisme. Il arriva que le fanatisme gagna beaucoup de têtes, et celle du commissaire lui-même. La petite ville de Motta, dans leFrioul, s’avisa de faire un exposé de ses griefs, obligea les magistrats à le recevoir; et l’assemblée de cette commune prit le litre d’assemblée nationale. Dans l’ile de Zanle, il y eut des rixes assez violentes, que l’on imputa aux fauteurs des nouvelles opinions; aussi, bientôt après, la maison du consul français qui résidait dans cette Ile fut-elle brûlée. L’acte le plus remarquable de la police vénitienne à cette époque fut l’arrestation du sénateur Zorzi, qu’on ne manqua pas d’attribuer à des projets de révolution conçus par ce patricien. Sans ces symptômes alarmants, sans quelques placards séditieux, qui invitaient le gouvernement à considérer le danger de plus près, il aurait été tenté de ne voir dans ce qui se passait en France qu’une époque importante de l’histoire; tant on aimait à s’aveugler pour ne pas sortir de son inaction! tant 011 se reposait sur ce système de neutralité, qui n’est point une sauvegarde, quand il est avéré que la modération, l’impartialité, ne sont que de la crainte et de la faiblesse! On a dit souvent que si, à cette époque, les États neutres s’étaient entendus, ils auraient pu demeurer inébranlables au milieu de cette vaste commotion. Et quels étaient-ils donc ces neutres, pour mettre, par leur médiation, un terme aux malheurs de la guerre, ou pour imposer au moins aux puissances belligérantes? La Suède et le Danemarck au nord, au midi la Fédération helvétique, les républiques de Venise et de Gênes, la Toscane; à l’orient la Turquie; au delà des mers les États-Unis; c’est-à-dire des États du second ou du troisième ordre, si on en excepte l’empire ottoman ; des États épars et qui ne pouvaient avoir un intérêt commun. A toute rigueur, on conçoit qu’ils auraient pu former une flotte, mais conçoit-on qu’ils eussent pu rassembler des armées pour agir de concert? Chacun d’eux était plus ou moins entraîné en sens contraire par des intérêts opposés; et, pour ne parler que des Vénitiens, on les voit alarmés des principes français, alarmésdessuccèsde l’Autriche, professant le principe de la neutralité, et pénétrés d’horreur pour les maximes françaises, qu’une 14