41 HISTOIRE DE VENISE. « au nom de sa majesté, la vouloir accommoder de h quelque bonne somme de deniers, qu’elle n’a « voulu limiter, rcmellant à la discrétion dudict « sieur de Maisse de deffendre la demande, selon « qu’il cognoistra qu’ilz s’y pourront disposer. » Mais cette fois les Vénitiens s'en tinrent au conseil du pape. Une nouvelle peste affligea Venise et ses provinces en 1575. Après avoir enlevé à la seule capitale plus de quarante mille de scs habitants, entre lesquels on eut à regretter le célèbre peintre Titien, la contagion gagna Milan, où elle fournit à l'archevêque llorromée l’occasion de signaler sa charité pastorale, et de faire bénir sa mémoire. Le même Iléau se manifesta quelque temps après à Candie, et ravagea celle colonie pendant plusieurs mois. Ces désastres, aussi cruels que des guerres , étaient un des inconvénients attachés à la communication fréquente des peuples orientaux. Le doge Moncenigo étant mort en 1576, les électeurs voulurent couronner dignement la brillante carrière du vainqueur de Lépante; leurs suffrages, d’accord avec la voix publique, se réunirent tous en faveur de Sébastien Vcnicr. Il était le troisième doge de sa famille, et la république vit avec joie, à la tète de son gouvernement, celui qui avait paru si glorieusement à la tête de ses armées. Il n’occupa cette dignité que deux ans. Les historiens attribuent sa mort au chagrin que lui causa la destruction presque totale du palais ducal, dévoré par un incendie. Il n'est nullement vraisemblable qu’un événement de cette nature eût ébranlé l’âme d’un homme qui avait passé par les grandes épreuves de la vie. Il mourut au mois de mars 1578. Son successeur fut Nicolas Daponle, vieillard de quatre-vingt-huit ans. Les Vénitiens aimaient à prouver par de tels choix, qu’ils n’élisaient pas leur doge pour les gouverner. 11. Dix ans s’écoulèrent sans être marqués par aucun événement considérable. Les pirateries des Uscoques donnèrent lieu à plusieurs expéditions, qu'on pouvait appeler des exécutions militaires : quelques vaisseaux pris, beaucoup de pirates pendus, leurs demeures saccagées, mais jamais un succès complet qui mit fin à leurs brigandages; ce fut à cela que se réduisirent toutes ces expéditions pendant plus d’un siècle et demi. Plusieurs règlements d’administration intérieure signalèrent cet intervallede tranquillité. Les formes de la procédure' furent simplifiées. Le bas prix, c’est-à-dire l’abondance des denrées de première nécessité, fut assuré par une sage police. On s’occupa du remboursement des emprunts que la guerre avait nécessités. Le palais ducal se releva de ses ruines. La place de Saint-Marc fut achevée. Le beau pont de llialte, qui joint par une seule arche les deux rives du grand canal, fut reconstruit en marbre. Palladio bâtit la superbe église du Rédempteur, pour acquitter un vœu que la république avait fait, afin d’être délivrée de la peste. La ville de Corfou fut mise en étal de défense par Ferdinand Vitelli. Jules Savorgnano construisit, sur la frontière du Frioul, la belle forteresse de Palma-Nova : c’était un glorieux monument delà victoire de Lépante; celte forteresse,! dont la construction était suffisamment justifiée par les invasions des Turcs, n’était pas moins importante pour se préserver des tentatives ambitieuses de la maison d’Autriche. Enfin neuf hommes qui avaient consacré une grande partie de leur vie à I l’étude des lettres, s’étant réunis, formèrent une so-ciétéqui devint l’académie de Venise. Nicolas Daponte avait succombé à sa vieillesse en 1585; le choix de son successeur eut cela de remarquable, qu’on le prit parmi les nobles nouveaux; c’en était le second exemple depuis l’élection d’André Vendramino. Pascal Cicogna descendait de Marc Cicogna, apothicaire, élevé au patriciat en 1581, après la guerre de Chiozza, pour avoir signalé son zèle en fournissant un vaisseau, eu abandonnant ses rentes, et en se dévouant personnellement à la défense de la patrie. Au reste, ces rares exemples de l'élévation des nobles nouveaux prouvaient beaucoup moins les égards qu’on avait pour eux, que la jalousie méritée parles anciennes familles.Quoique les nouvelles familles ne parvinssent que bien rare- I ment à la suprême dignité, on avait remarqué que, I depuis environ deux cents ans, les plus anciennes en étaient exclues : c’était une espèce de parti mitoyen, qui réprimait également l’ambition des [ grandes maisons, attachées à retenir le pouvoir, ■ et des hommes nouveaux non moins ardents à l’en- I vahir. Les choix faits dans des familles médiocrement puissantes, avaient permis d'affaiblir sans trouble l’autorité ducale. A la mort de Nicolas Daponle, les passions se réveillèrent; les factions opposées désignèrent chacune un candidat ; les barrières du conclave furent sur le point d’être forcées; on courut aux armes, on fit des prières publiques dans les églises, et ce ne fut qu’après cinquante-deux tours de scrutin, que les deux partis, ne pouvant triompher I un de l'autre, firent tomber le choix sur un vieillard qui n’appartenait à aucun des deux. Pascal Cicogna suppléait à I infériorité de sa naissance par une réputation de sainteté. On citait non-seulement ses vertus, mais ses miracles. On racontait qu’un jour à Candie, pendant qu’il assistait à la messe, l’hostie s’était élevée d’elle-même, et était venue sc placer entre ses mains. Aussi voyait-on dans une église de Venise un tableau où ce doge était repré-