78 HISTOIRE DE VENISE. lions, renouvelèrent la prétention de la libre navigation de l’Adriatique, c’est-à-dire qu’ils demandaient que les vaisseaux qui traversaient le golfe sous pavillon autrichien, fussent affranchis des péages, et de l’obligation de toucher à Venise. Tout cela n’était pas propre à rétablir entre les deux gouvernements une parfaite intelligence. Pendant qu’on discutait ces demandes incidentes, les Uscoques firent une nouvelle irruption en lstrie. Il était d’usage dans celte province que, pendant l’hiver, les troupeaux de la partie montagneuse, appartenant à l’Autriche, descendissent vers la partie vénitienne, et que, dans l’été, les habitants de la plaine envoyassent leurs bestiaux paître sur la montagne. Les pirates trouvèrent les pâturages autrichiens couverts de troupeaux appartenant à des sujets de la république, et en enlevèrent une grande partie. Les Vénitiens à leur tour, se jetèrent sur les terres de l’Autriche, et emmenèrent les bestiaux qu’ils y trouvèrent; en même temps, ils resserrèrent le blocus de Segna. Un commissaire autrichien, envoyé dans cette ville, fit couper la tête à trois ou quatre Uscoques, imposa une amende aux autres, en emprisonna quelques-uns, et fit ensuite prier le capitaine du golfe de lever le blocus. Celui-ci répondit que son gouvernement ne demandait pas mieux que de vivre en paix, qu’il réclamait l’exécution des traités existants; c’est-à-dire la répression efficace des pirates, et qu’il ne pourrait se persuader qu’on voulût sincèrement les réprimer, tant qu’il verrait sur les remparts de Segna des canons enlevés aux Vénitiens, et une galère appartenant à la république, retenue dans le port. Le commissaire partit de Segna pour s’en retourner en Autriche, se faisant suivre de mulets chargés de cent cinquante mille ilorins d’argent, et de marchandises, qui révélaient sa vénalité, et expliquaient sa partialité. Le résultat de sa mission s’était borné à rançonner les Uscoques, et par conséquent à les rendre plus avides de pillage en les appauvrissant. IX. Quelques petites villes des îles vénitiennes en souffrirent. 11 fallut en venir à se faire justice soi-même. On brûla un village où étaient les grains destinés à l’approvisionnement dcsUscoques.On surprit le château de Novi appartenant au cointe Fran-gipani, commandant de Segna; on en renversa les murailles, et on emmena trois des ctyions de la galère de Venise qui s’y trouvaient. Le château fut pillé, et des salines, qui étaient dans le voisinage, furent détruites. LesVénitiens étaient toujours fort exacts à ruiner ces sortes d’établissements quand ils en trouvaient chez leurs voisins. Ils détruisirent de même une autre saline, qui avait été formée depuis une quarantaine d’années près de Trieste; car ces déplorables hostilités s’étendaient sur toute la côte, depuis l’extrémité septentrionale de l’Adriatique jusqu’à Cattaro. Les sujets autrichiens, qui vivaient du produit de cette saline, tombèrent sur les Vénitiens, pendant qu’ils renversaient les digues et comblaient les canaux, en tuèrent un grand nombre, et les poursuivirent jusque dans le Frioul. Le provédileurqui commandait cette expédition se jeta dans la mer à cheval, au risque de se noyer, pour gagner une galère stationnée près du rivage. Fiers de ce succès, ces paysans s’avancèrent sur les terres de la république, mettant tout à feu et à sang. Les Uscoques accoururent pour prendre part au pillage. Vittorio Siri rapporte que le gouverneur de Triestecita le provéditeur à comparaître, dans trois jours, pour se justifierde la destruction des salines, sous peine d’être condamné à être pendu comme brigand, et en même temps il promit six mille ducats à qui le livrerait mort ou vif. Le gouvernement de la république ne manqua pas d’user de représailles, et mit à prix la tête du gouverneur autrichien. On juge à de tels procédés de la fureur avec laquelle on devait se faire la guerre. Cette fureur amena des désordres; ils furent effroyables dans l’armée vénitienne, toujours composée de mercenaires. La discorde alla jusqu’à l’effusion du sang. Il en résulta des surprises, des terreurs paniques, des défaites honteuses, et l’abandon de toute l’artillerie au milieu d’une fausse alerte. Ce fut alors que les Vénitiens eurent lieu de se féliciter d’avoir, quelques années auparavant, bâti la forteresse de Paitna-Nova sur cette frontière; elle servit d’asile à leurs troupes fugitives, et de barrière contre leurs ennemis. Quand ils eurent rallié leur petite armée, ils s’avancèrent à leur tour, obligèrent les Autrichiens d’évacuer toutes les places non fortifiées, comme Medca, Saga, Cervignano, Cornions, Meriano, I’or-petto, et les ruines d’Aqullée, et envahirent tout le comté de Gorice. Alors les ministres autrichiens jetèrent les hauts cris, sur ce que la république commençait les hostilités sans avoir déclaré la rupture. Ils se plaignirent à toutes les cours, publièrent des manifestes, et Venise se trouva décidément en guerre, non pas seulement avec les Uscoques, mais avec l’archiduc Ferdinand d’Autriche. La délibération dans laquelle on se détermina à ces actes de vigueur fut très-orageuse. Au mépris des avis, et même des larmes des vieux sénateurs, Renier Zeno, soutenu de tout ce qu’il y avait de jeunes gens dans le conseil, fit résoudre le siège fle Gradisca. X. Le baron Adam de Trautmansdorff arriva pour prendre le commandement des troupes autrichiennes, et s occupa d’abord de mettre en état de défense les deux places fortifiées qui gardent cette frontière, c’est-à-dire Gorice et Gradisca, situéessur