LIVRE XXXIII. liü ger sa défense jusqu’à l’hiver, et attendre de nouveaux renforts. Tous furent sourds à celte prière, et mirent à la voile, laissant le défenseur de Candie sans moyens et sans espérance. La place pouvait être emportée au premier moment; elle n’offrait plus qu’un monceau de ruines arrosé du sang de trente mille chrétiens, et de cent dix mille Ottomans, qui avaient péri dans ce siège. .1 Aussi, dit Philibert de Jarry, étoit-ce une chose surprenante que de nous voir embarquer en l’estat que nous estions. Le régiment de Négron, que je commandois, étoit, au commencement du siège, de deux mille cinq cents hommes. Il avoit reçu quatre cents recrues, et il ne sortit de la place que septante hommes, compris officiers et soldats, dont les quarante étoient estropiés. » Il s’agissait de savoir si on pouvait prolonger la résistance. Il n’y en avait qu’un moyen, c’était de mettre à terre tous les équipages de la flotte, et d’en composer une nouvelle garnison ^mais alors la flotte était perdue, il fallait la brûler. Les Turcs devenaient maîtres de la mer; et la place, sans communication avec le dehors, était obligée de se rendre faute de subsistances. Il restait à sauver quatre mille habitants, faible débris de la population de cette capitale, et une poignée de braves, qui avaient survécu à soixante-neuf assauts, à quatre-vingts sorties, et à treize cent soixante-quatre explosions de la mine. XXV. Morosini sentit qu’il était inévitable de capituler; mais il conçut le projet de convertir cette capitulation en un traité de paix. C’est là une de ces idées qui n’appartiennent qu’aux esprits élevés et aux âmes intrépides. Il n’avait point de pouvoirs pour traiter. Il savait que son gouvernement n’avait pas accoutumé ses généraux à sortir des limites de leurs attributions, et qu’il n’y avait aucune indulgence à en espérer. Son conseil de guerre ne pouvait ni couvrir ni partager sa responsabilité; niais il compta noblement sur l’opinion que les ennemis devaient avoir de son caractère, et il fit demander au grand-visir la permission de lui envoyer un officier pour négocier. Acbmet Kiupcrgli, qui avait si longtemps éprouvé la fermeté de Morosini, saisit avec empressement cette occasion de se rendre maître enlin d’une place qui lui avait coûté tant de sang. Les pourparlers durèrent depuis le 28 août jusqu’au 6 septembre 1069. Le généralissime imposa tellement aux ennemis qu’il obtint des conditions honorables, non-seulement pour sa garnison, mais pour la république. Il fut convenu que les Vénitiens abandonneraient Candie, non pas à un jour fixe, mais après qu’ils auraient eu le temps de s’embarquer, et on en évalua la durée à douze jours d’un temps serein. 11 ne devait être laissé sur les remparts que l’artillerie, dont ils étaient armés avant le siège. Le visir fit même présent à la garnison de quatre pièces de bronze, en sus de cent quarante qu’elle avait droit d’emmener. On stipula en outre que les habitants seraient libres de partir avec la garnison, et d'emporter tous leurs effets; que les Turcs resteraient maîtres de l’île do Candie, mais que la république y conserverait trois ports, savoir : les Gabruses, Spina-Longa, et la Suda, avec les îles qui en dépendent; qu’en compensation de cette cession la république garderait tout ce qu’elle avait conquis sur les frontières de la Dalmatie et de la Bosnie, notamment la forteresse de Glissa; qu’enfin les anciennes relations de commerce et d’amitié seraient rétablies entre les deux États. Ce traité était assurément aussi honorable que pouvaient le permettre les circonstances. La lutte avait été terrible, mais trop inégale. Les armes de la république avaient été souvent victorieuses : ce qu’elle acquérait ne compensait pas assurément ce qu’elle était obligée de céder; mais du moins elle ne se trouvait soumise à aucune condition humiliante, à aucune indemnité, à aucun tribut. Les infortunés habitants de Candie voulurent tous abandonner une patrie qui n’existait plus, une terre désolée qui allait être occupée par les infidèles. Leurs personnes, leurs biens, tous les objets du culte, furent reçus sur les vaisseaux de Morosini, L’historien turc, Raschid, rend hommage, sans s’en douter, au dévouement des défenseurs de Candie; car il fait évaluer leur petit nombre, en disant que quinze bâtiments et une quarantaine de chaloupes suffirent à transporter les faibles restes de celte garnison. La tempête attendait ces malheureux; elle en fit périr une partie et en jeta plusieurs sur les côtes d’Afrique, où ils tombèrent dans les chaînes des Barbaresques. On était si consterné à Venise de la situation où le départ simultané des alliés avait laissé Candie, qu’on y apprit avec plus de surprise que de mécontentement le traité conclu par Morosini, sans autorisation. Cette nouveauté choquait les maximes du sénat ; mais il était impossible de proposer la continuation de la guerre. Le traité fut ratifié, parle gouvernement vénitien, comme par le sultan, et la place fut remise aux Turcs, le 27 septembre. Les limites sur le continent de la Dalmatie lurent marquées. Trente l'ami Iles nobles vénitiennes, qui étaient établies à Candie, vinrent recruter le grand-conseil d’une centaine de patriciens. Les nobles originaires de file furent admis à la citadinance, et les misérables restes de la population de cette colonie furent envoyés en Istrie, où on leur distribua quelques terres.