LIVRE XXX. 83 avait de dangereux pour elle; cependant elle s’y 1 détermina pour éviter l’explosion de la guerre en Italie. Ce traité, qu’on appela le traité d'Asti, fut conclu le 21 juin 16115. Cette année fut celle de la mort de Marc-Antoine Memmo, que Jean Bembo remplaça dans le dogat. L’élection de Memmo, en 1612, avait fait cesser la longue exclusion qu’éprouvaient les anciennes familles, dont pas une, depuis deux cent cinquante ans, n'avait été appelée à cette dignité. Ce fut pour elles un nouveau succès de parvenir à faire remplacer ce doge par Jean Bembo, dont l’origine remontait aussi aux premiers âges de la république; mais une circonstance prouve qu’il y eut à vaincre une forte opposition, l’élection n’eut lieu qu’après quatorze scrutins. L’Espagne, après avoir réduit le duc de Savoie, ne se piqua point d’observer fidèlement les conditions qu’elle avait dictées. Charles-Emmanuel ne voulut ni s’en départir, ni se mettre à la discrétion de cette cour en licenciant ses troupes. La guerre se ranima, en 1616, et les Vénitiens se virent obligés d’y prendre part. Ils étaient encore à cette époque en état d’hostilité avec l’archiduc d’Autriche. La cour d’Espagne était intervenue dans le différent avec plus de hauteur que d’impartialité. Cette complication de dangers les obligea d’accepter l’alliance du duc de Savoie. Ils lui fournirent un subside, un contingent de quatre mille hommes, rassemblèrent des troupes sur la frontière du Milanais, et mirent une flotte en mer. Les levées des soldats étaient toujours une opération difficile pour les Vénitiens. Ils publiaient ordinairement, dans ces occasions, une amnistie qui permettait à leurs bannis de rentrer dans leur patrie, en y prenant du service militaire, et je remarque que, lorsqu’on adopta cette mesure pour la guerre du Frioul et du Mont-ferrat, on évalua à dix mille le nombre des soldats que la république pouvait en espérer. Cela indique combien le bannissement était une peine en usage, et on a droit de s’en étonner, si on considère que celÉtat n’avait qu’une population insuffisante, qu’il était obligé d’acheter pour scs chiourmes des forçats étrangers, et qu’il avait un tel besoin d’hommes, que l’empereur, quand il voulait être agréable à ce gouvernement, lui envoyait en présent quelques centaines de galériens. Trente mille Espagnols ou Milanais combattirent, pendant deux eampagnes, l’armée du duc de Savoie ; mais ce ne fut pas avec celte vigueur qui rend les succès décisifs. Le seul événement important de cette guerre fut la prise de Verceil par les Espagnols. Comme la cour de Madrid n’avait pas formellement déclaré la guerre à la république, les actes d’hostilité n’auraient pas dù s’étendre hors du Pié- ' mont; cependant, vers la frontière de l’État de Venise, les troupes milanaises firent des excursions sur le territoire de Crème et de Bergame. Sur mer, la flotte vénitienne eut quelques rencontres avec la flotte de Naples. Ces hostilités avaient sans doute quelque chose d’irrégulier, puisqu’on voyait encore un ambassadeur d’Espagne à Venise; mais cet ambassadeur était bien loin d'être un ministre de paix. Enfin le traité de Madrid, en confirmant les dispositions qui avaient été arrêtées à Asti, vint mettre uu terme au différent qui existait entre l’Espagne et le duc de Savoie. Son effet devait être de réconcilier les Vénitiens, qui, dans cette guerre, n’avaient été que les alliés du duc, avec les deux branches de la famille autrichienne. Ce qu’il y eut d’étrange, ce fut qu’après la signature de ce traité, ils n’en eurent pas moins à soutenir la guerre contre le vice-roi de Naples. Sa cour le désavouait, et cependant le maintenait dans sa charge. XV. Il y avait alors, en Italie, trois Espagnols qui passaient pour avoir voué une grande haine à la république, et qui la manifestaient plus que leur gouvernement. C’était Pierre de Tolède, gouverneur de Milan, et le duc d’Ossone, vice-roi de Naples, mus l’un et l’autre par un homme encore plus dangereux, Alphonse de la Cueva, marquis de Bedemar, ambassadeur de la cour de Madrid près le gouvernement vénitien. Ce ministre assurait le sénat que son maître avait ordonné au vice-roi de respecter le pavillon de la république. En effet, l’escadre du roi était sortie du golfe; mais les Vénitiens lui fournirent presque aussitôt un prétexte pour y rentrer. Ils allèrent ravager les côtes de la république de Baguse, qui n’avait jamais été en guerre avec eux, mais qui avait accueilli dans ses ports les vaisseaux espagnols. Celte république implora aussitôt la protection du vice-roi de Naples. Dix-huit galions ou autres bâtiments parurent dans le golfe, portant à la vérité, au lieu du pavillon royal, celui du duc d’üssone. Les historiens vénitiens disent qu’à la vue du pavillon de Saint-Marc, cette escadre se sauva dans le port de Brindes. Il n’en est pas tout-à-fait ainsi. La flotte vénitienne consistait en quinze galions, six galéasses, trente-deux galères légères, et quinze barques albanaises. Elle était par conséquent quatre fois plus nombreuse que l’escadre napolitaine ; mais les équipages en étaient si faibles qu’à peine les bâtiments pouvaient-ils manœuvrer. D’abord on se canonua de loin; ensuite, le vent ayant fraîchi, les Espagnols s’avancèrent vers la ligne vénitienne, que leur capilane traversa même plusieurs fois. Une tempête vint mettre fin à ce combat peu glorieux pour les armes de la république. Les Espagnols regagnèrent Brindes, et les Véni-