218 HISTOIRE DE VENISE. victoire. La ville de Milan, déjà dépassée de dix lieues, envoyait ses clefs; le duc de Modène demandait la paix, et se réfugiait à Venise. L’armée autrichienne se retirait au delà du Mincio, c’est-à-dire sur Mantoue. Les Français étaient sur la frontière du territoire vénitien; et leur général leur disait ces paroles, qui ont retenti si longtemps dans le cœur des braves : « Quand vous rentrerez dans vos « foyers, vos concitoyens diront : 11 était de l’armée « d'Italie. » La guerre commençant si vivement dans la Péninsule, le gouvernement autrichien se détermina à inquiéter les Français sur une autre frontière, et à ralentir leurs mouvements, en manifestant l’intention de négocier. Le 21 mai 1796, c’est-à-dire dix jours après la bataille de Lodi, il rompit l’armistice existant sur le Rhin; et, le même jour, un ministre autrichien présentait à l’ambassadeur de France résidant à ltàle, une note, qui annonçait le désir d’entamer des négociations, plutôt que des dispositions à conclure la paix. On ne pouvait se faire, à cet égard, aucune illusion, tant ces deux actes, faits simultanément, étaient contradictoires. Le gouvernement français s’empressa de déclarer qu’il était prêt à écouter des propositions; elles n’eurent pas lieu. Les événements militaires ne laissèrent pas à la diplomatie autrichienne le temps d’organiser ces conférences, par lesquelles elle espérait arrêter l’impétuosité du vainqueur. Les débris de l’armée battue à Montcnotte, à Millesimo, à Dego et à Lodi. avaient repassé précipitamment l’Oglio et le Mincio, pour établir leur ligne de défense sur ce dernier fleuve. Cette ligne a le double avantage d’ètre très-courte et très-forte : appuyée à ses deux extrémités sur le Pô et le lac de Garde, elle est protégée par le Mincio et par les places de Peschiera et de Mantoue (31 mai 1796). Mais ce fleuve n'était pas aussi difficile à franchir que l’Adda. Les Français, qui avaient passé l’Oglio à la suite de l’armée autrichienne, se présentèrent dans la nuit du 30 mai devant Borghetto, sur la rive droite du Mincio. L’ennemi coupa le pont; pendant qu’on travaillait à le réparer, le général Gardanne, à la tête de quelques grenadiers, se jette dans le fleuve. A la vue de cette faible troupe, qui s’avancait ayant de l’eau jusque sur les épaules, les postes autrichiens s’ébranlent ; l’arche du pont qui venait d’être coupée est rétablie; toute l’armée passe, et trouve l’armée autrichienne rangée en bataille. Feignant de vouloir l’attaquer, le général en chef fait commencer le feu, tandis qu’une de ses colonnes s’élevait à la hauteur du lac de Garde, pour occuper la vallée de l’Adige, ci couper la retraite à l’ennemi. Le général Beaulieu, qui s’en aperçoit, se met aussitôt en marche, passe l’Adige, détruit tous les ponts, et gagne les montagnes du Tyrol, laissant Mantoue livrée à ses propres forces. Aitisi fut accomplie , en quelques jours, la première partie du plan qui avait pour objet de détruire la puissance autrichienne dans la Péninsule. L’armée avait franchi les Apennins, le Pô, l’Adda, l’Oglio : les princes qu’elle avait trouvés sur son passage étaient soumis; la Lombardie était occupée; il restait à priver ses anciens possesseurs des moyens d’y rentrer. III. Avant que l’armée française s’ébranlât des bords du golfe de Gênes, l’esprit d’insurrection avait commencé de se manifester non-seulement dans la Lombardie, mais encore dans les provinces vénitiennes voisines, notamment dans le Bergamasque, Le vice-podestat de Bcrgame, Alexandre Ottolini, donna le premier l’alarme, par un rapport du 3 avril, c’est-à-dire antérieur de huit jours à la reprise des hostilités. Les mêmes symptômes se manifestèrent bientôt à Brescia, à Crème, à Peschiera, à Legnago. Les places de la Chiusa, Ponte-Vico, Orcinovi, Asola, étaient absolument sans défense; le gouvernement ne put se déterminer à y envoyer un soldat ni un canon. Pendant que les Français s’avancaient à gramls pas vers la Lombardie, l’archiduc Ferdinand,parti de Milan avec précipitation, arriva le 9 mai à Ber-game, sans y être annoncé. On recevait à tous moments des nouvelles de la retraite de l’armée autrichienne; les caisses militaires, les bagages, des détachements, une population épouvantée, se présentaient sur les limites du territoire vénitien. Le podestat ne cessait d’écrire que tout Milan était en fuite, qu’on était obligé de laisser les portes de Ber-game ouvertes pendant la nuit; qu’il arrivait continuellement des voitures attelées de bœufs, faute de chevaux; que les paysans de la Lombardie demandaient asile ; qu’une multitude de soldats débandés avaient quitté l’armée impériale, et s’engageaient dans les troupes de la république; que les corps de cavalerie mangeaient les blés sur pied, et qu’enlin l’arrière-garde autrichienne venait d’etre forcée au pont de Lodi. Le gouvernement, dans ces circonstances si difti* ciles, nomma un provéditeur-géuéral des provinces de terre-ferme, qui fut Nicolas Foscarini, ancien ambassadeur à Vienne et à Constantinople; il devait résider à Vérone. En même temps, on adressa à tous les magistrats de ces ordres que les supé-rieurs donnent si facilement à leurs subordonnes, pour l’exécution de choses inexécutables : on leur recommandait d’éviter que les intérêts de la république ne fussent compromis, et de conserver cette impassible neutralité sur laquelle le gouvernerae»1 persistait à se faire illusion.