LIVRE XXVI. 17 vrer bataille à l’ennemi. Doria, au lieu de coopérer à cette entreprise, se retira à Naples, et ensuite à Gênes, où il prétendait avoir besoin de faire radouber ses vaisseaux. Ni les instances des généraux, ni une lettre que le pape lui écrivit de sa main, rien ne put le retenir. Renforcée de quelques galères, la flotte vénitienne se préparait à risquer une action décisive, lorsqu’on vit avec étonnement les Turcs rembarquer les troupes qu’ils avaient à Corfou. Ce changement dans leur détermination était l’effet de la rivalité qui existait entre l’amiral Barberousse et le grand-visir. Le premier avait travaillé de toutes ses forces à pousser le grand-seigneur jusqu’à une rupture avec les Vénitiens. Le second, dont la politique était de traverser les vues et les succès de son rival, ne cessait de représenter à son maître que la place de Corfou était susceptible d’une très-longue défense, qu’on y consumerait une armée déjà fatiguée par une pénible campagne, qu’il élait imprudent de choisir, pour se brouiller avec la république, le moment où elle avait l’empereur pour allié, et qu’il suffisait à la dignité de la Porte d’obtenir une satisfaction éclatante des actes que l’on reprochait aux Vénitiens. Le baile de Constantinople avait suivi le grand-seigneur dans son camp, il ne manqua pas de promettre tout ce qu’on voulut; et Soliman, sans s’inquiéter de la réalisation de ces promesses, s’en retourna dans sa capitale, et lit rembarquer scs troupes, qui emmenèrent avec elles, comme esclaves, quinze mille malheureux paysans qu’elles avaient ramassés dans l’île. Ainsi, tandis que la mésintelligence des amiraux chrétiens avait fait manquer l’occasion de livrer bataille, la jalousie du visir et de l’amiral ottoman décidait la levée du siège de Corfou. Barberousse alla décharger sa fureur sur les îles vénitiennes de l’Archipel, qu’il saccagea impitoyablement, et les Vénitiens, par représailles, prirent la petite ville de Sardone, sur la côte de Dalmatie, et passèrent la garnison turque au fil de l’épée, quoiqu'elle ne se fût rendue qu’après une capitulation. La retraite des Turcs annonçait la possibilité •l’une réconciliation, et ces ravages faisaient prévoir ce que serait la guerre si elle devait continuer. VI. L’hiver de 1337 à 1838 se passa en délibéra-ll°ns, ou plutôt en hésitations sur le parti qu’on avait à prendre. Le grand-visir réitérait l’assurance •lu on obtiendrait la paix, en envoyant un ambassadeur. Le roi de France sollicitait la république ‘le ne plus prêter son secours à Charles-Quint, dont *a puissance était déjà si redoutable et l’ambition si dévoilée; mais l'empereur et le pape représentent qu’il y allait de l’intérêt de la chrétienté et (l° 1 existence de la république, à ne pas arrêter le HISTOIRE i>e VENISE.— T. II. torrent des Turcs qui se débordait sur l’Europe. Outre qu’on ne pouvait pas différer de lui opposer une digue, on ne devait pas espérer une plus belle occasion que celle-ci, pour le faire avec avantage. L’Europe était en paix, car la guerre entre François 1er et l’empereur avait été suspendue par une trêve. La fortune avait réuni dans la même main les forces de l’Espagne, de Gênes, de Naples, de ia Flandre et de l’Allemagne. Quel plus puissant allié les Vénitiens pouvaient-ils attendre désormais? et quel avantage, dans une guerre, que la certitude do voir concourir toutes ces forces au même but, puisqu’elles étaient mues par la même volonté ! D’une part, la Porte offrait la paix, et cette paix ne devait coûter aucun sacrifice. De l’autre, on proposait d’entreprendre une guerre, dont les chances étaient incertaines, et dont les succès auraient l’inconvénient d’augmenter la puissance de Charles-Quint. Il était bien évident que, réduite à des termes aussi simples, la question ne pouvait être douteuse : mais il était dangereux de refuser l’alliance de l’empereur, et de compter sur celle des Turcs. Ceux qui jugeaient que le seul moyen d’obtenir un accommodement solide avec la Porte, était de lui montrer une fermeté courageuse, parlèrent avec tant de force dans le sénat, que les partisans de la paix se réduisirent à demander qu’on autorisât l’ambassadeur de la république, non pas à offrir une réparation des prétendus torts des Vénitiens, mais à déclarer que jamais Venise n’avait eu l’intention de rompre avec la Forte ottomane ; que les événements dont en croyait avoir à se plaindre, n’étant que des accidents fortuits, le sultan était trop équitable pour y voir la cause d’une guerre entre les deux Etats, et qu’on espérait qu’il rendrait la liberté aux négociants vénitiens arrêtés dans son empire, et qu’il les rétablirait dans tous leurs privilèges. Cet avis, assurément très-raisonnable, fut débattu longtemps, et enfin rejeté à une majorité de deux voix seulement. Mais, cette proposition écartée, il restait à savoir quel parti l’on devait prendre. L’empereur et le pape proposaient une ligue, dans laquelle les trois puissances feraient les frais de la guerre en commun, et réuniraient leurs forces sous le même général. La difficulté de s’accorder sur ces deux objets fournit aux Vénitiens le moyen de traîner cette négociation en longueur. Enfin, on demeura d’accord qu’André Doria aurait le commandement supérieur de toutes les forces navales; que les troupes de débarquement seraient sous les ordres du général de la république, qui devait être le duc d’Urbin ; et quant aux dépenses, Charles-Quint consentit à en supporter la moitié, le pape un sixième; de sorte qu’il en restait un liers à la charge des Vénitiens. 2