280 HISTOIRE DE VENISE. pléer à l'insuffisance de leur traitement : dans tous les cas, il est sùr que lo peuple n’y gagnait rien. Les mêmes hommes passaient ordinairement d’un service à l’autre; parce que, dans les républiques, on craint toujours de faire (les hommes de guerre une classe à part : mais à Venise on n’était point accoutumé, comme à llome, à descendre d’une charge supérieure dans un emploi inférieur; quand cela arrivait, c’était une punition. Ce préjugé était contraire au bon esprit d’une république. Dans les républiques, c’est ordinairement le retour fréquent des élections qui rend la société orageuse; à Venise,où toutes les fonctions étaient temporaires, à l’exception de la place de doge, de la charge de grand-chancelier, et de la dignité de procurateur, on n’éprouvait point cet inconvénient, parce que la forme des élections était lente, invariable, silencieuse, et que la courte durée des emplois empêchait qu’ils ne donnassent trop d’importance à ceux qui les avaient occupés. Le besoin de gagner des suffrages, imposait aux plus ambitieux des manières éloignées de la violence et de la hauteur. Le grand-conseil avait deux moyens de punir ceux dont on avait été mécontent dans de hautes fonctions : c’était de les appeler à une dignité onéreuse qu’ils ne désiraient pas, comme par exemple une ambassade, ou à un petit emploi fort au dessous de leur rang. L’acceptation de ces emplois était une humiliation, le relus était nécessairement suivi d’une amende; mais on échappait à cette espèce de châtiment, à la faveur de la loi qui déclarait inéligibles tous les débiteurs du trésor public. Un patricien n’avait qu’à différer le paiement de scs contributions, il évitait le désagrément d’être nommé à un emploi qui ne lui aurait pas convenu ; mais aussi il demeurait inhabile à toutes fonctions, tant qu’il restait débiteur de l’Élat. Toutes ces supercheries, il faut en convenir, sont loin du véritable esprit de la république ; cependant l’abus même que l’on fait des lois, prouve au moins que ce sont les lois qui régnent. Dans un gouvernement où tous les emplois sont électifs et temporaires, les brigues, les partis, deviennent des moyens nécessaires et par conséquent légitimes. C’était sous les portiques de Saint-Marc quo les patriciens se réunissaient tous les jours, pour sc concerter, solliciter, vendre leurs suffrages, et faire le calcul de leurs forces avant d’entrer dans les conseils. Le nom de cette promenade indiquait sa destination; 011 l'appelait il Uroglio, la lirigue. Il faut maintenant dire quelques mots de la condition des sujets de la république. IV. On distinguait les citadins et le peuple. L’ordre de la citadinance était composé des habitants qui, par une possession ancienne, ou par acquisi- tion, jouissaient du droit de bourgeoisie. Il comprenait les gens (le loi, les médecins, et trois espèces de commerçants, les marchands de soierie, de draperie, et de verrerie de Murano. La qualité de citadin ne conférait aucun droit politique, mais seulement des privilèges commerciaux ; il y avait même deux classes de citadins, distinguées par l'étend ue.des privilèges qui leur étaient accordés. La citadinance intérieure 11’autorisait que l’exercice de certaines professions et du négoce dans l’intérieur. La citadinance extérieure plaçait celui qui en était revêtu au rang des plus anciens citoyens de la république, et le rendait capable do trafiquer au dehors en son propre nom, et avec la qualité de Vénitien. Cette distinction ne datait que de l’an 1313 ; antérieurement tous ceux qui avaient vingt-cinq ans de domicile étaient citadins de droit. Suivant que la capitale eut besoin de réparer sa population, ou d’attirer des hommes industrieux, elle rendit l’accès de la citadinance moins difficile. Mais vers le milieu du XV0 siècle, 011 lit une classe à part de toutes les familles originairement vénitiennes, qui ne faisaient pas partie de l’ordre équestre, et qui n’avaient pas exercé de profession mécanique depuis deux générations. C’était dans cette classe qu’était pris exclusivement tout le corps de la chancellerie, c’est-à-dire les secrétaires des conseils, les notaires, les secrétaires des légations dans l’étranger, les résidents près les petites cours, enfin tous les agents secondaires de l’administration, et c’était dans ce corps qu’on choisissait le grand-chancelier de la république, personnage revêtu d’une dignité sans pouvoir, prenant séance à tous les conseils, mais sans y avoir le droit de suffrage. Tout ce qui ne faisait point partie de la citadinance était peuple; ainsi cette troisième classe comprenait de très-riches négociants, des gens d’église, presque tous les hommes exerçant des professions libérales, les artisans, et enfin les personnes de condition servile, les prolétaires. Presque toutes les professions étaient classées : elles avaient leurs règlements, leurs assemblées, leurs rivalités. Ces corporations s’exagéraient leur importance, et se consolaient d’être reléguées au dernier rang de la société, en imitant la gravité de leurs maîtres, lorsqu’elles discutaient des intérêts domestiques, ou élisaient des chefs sans pouvoir. V. Dans les provinces, dans les colonies, la condition des habitants avait conservé toutes les nuances qui résultaient de l’ancienne constitution du pays. Dans le dogado, c’est-à-dire dans l’enceinte j des lagunes, qui formait originairement tout le ter-: ritoire de la république, chaque île, chaque ville ' avait organisé son administration sur le modèle de