226 HISTOIRE DE VENISE. Ic Mincio, il n’avait plus d’autre asile que Mantoue. Il marcha dans cette direction pendant toute la nuit du 12 au 13, détruisant tous les ponts après son passage, culbutant les délacîicments qui se présentaient pour retarder sa marche, et se jeta enfin dans la place avec six ou sept mille hommes, restes de cette armée qui devait reconquérir l’Italie. Deux jours après son arrivée dans Mantoue, il en sortit à la tête de toute cette garnison, qui formait une petite armée de près de vingt-cinq mille hommes, pour écarter les troupes françaises qui tentaient déjà de resserrer le blocus. Cette sortie donna lieu à une nouvelle bataille, qui coûta aux Autrichiens deux ou trois mille hommes et la tète de pont de Saint-George. XVI. Les Vénitiens avaient rejeté plusieurs fois l’alliance de la France. Elle ne pouvait ignorer ni leur partialité pour l’Autriche, ni leurs dispositions militaires, d’autant plus suspectes qu’elles étaient mystérieuses sans pouvoir être secrètes. Un appareil immense couvrait les lagunes; tout le monde en était témoin. La population des campagnes de la province de Bergame était armée, organisée en régiments; elle avait des canons, des magasins ; on y fabriquait de la poudre. Il était impossible que des soldats répandus dans tous les villages ne s’en fussent pas aperçus, cl on pouvait encore moins se méprendre sur la destination d'un pareil armement. Cependant la France, après s’être assuré encore une fois la possession de l’Italie, par la destruction de la seconde armée autrichienne, réitéra ses propositions d’alliance à la république de Venise. Le 27 septembre 1796, quelques jours après la défaite du maréchal de Wurmser, le ministre français présenta au gouvernement vénitien une note, où il s’attachait à exposer la véritable situation de la république de Venise, « en butte, disait-il, à son insu, ou du moins sans qu’elle parût s’en apercevoir, à l’ambition de trois puissances avides : la Russie, qui, dans ses vues sur la Porte, regardait comme un accessoire nécessaire de ses usurpations en Turquie l’invasion des colonies vénitiennes; l’Angleterre, qui, à la faveur de la connivence de la Russie, méditait de s’emparer du commerce du Levant; l’Autriche, qui, dans la perte éventuelle de ses possessions en Italie, entrevoyait dans les provinces vénitiennes de terre-ferme le dédommagement le plus convenable au système de prépondérance dont elle ne se croyait pas obligée de se désister. » On ne peut se dispenser de s’arrêter sur cette dernière observation. Si c’était une menace, elle était enveloppée sous les formes d’un avertissement officieux; mais, pour n’en être pas effrayés, il fal- lait que les Vénitiens se crussent bien des droits à la reconnaissance de l’Autriche. Le ministre français poursuivait ainsi :« Le gouvernement de Venise se fie aux anciennes maximes du droit public, et ne craint pas des voisins envers lesquels il évite d’avoir des torts; mais dans quels moments se fait-il un appui d’un système tombé en désuétude depuis longtemps? Le droit public n’existe plus, et toute trace d’équilibre politique a disparu de l’Europe. Il no reste plus de garantie aux États faibles que celles qu’ils peuvent trouver dans la force fédérative. » Et ici le négociateur indiquait la seule alliance qui pût procurer une dernière ressource aux Vénitiens. Menacés de leur ruine, ils n’avaient d’espoir que dans une négociation franche et prompte avec le seul État de l’Europe qui fût intéressé à leur conservation, et il les engageait à envoyer immédiatement à Paris un agent politique chargé de manifester au directoire exécutif leurs dispositions pour unir enfin irrévocablement la destinée de leur pays à celle de la France. 11 finissait par assurer le sénat que la république, alliée de la France, pouvait tout attendre de son amitié; « mais, ajoutait-il, si, par égard pour ses ennemis naturels, qui méditent sa perte, elle continue de fermer les yeux sur scs véritables intérêts, elle aura laissé échapper le moment de se soustraire pour toujours à l’ambition autrichienne. Environnée de périls, privée du droit de réclamer un appui, elle aura à se reprocher d’avoir négligé les offres et repoussé l’amitié de la seule puissance de qui elle pût attendre une garantie. Ce sont là sans doute des vérités dures, et il en coûte de les énoncer; mais la loyauté française ne sait pas ménager les expressions, lorsqu’il s’agit d’éclairer et de sauver ses amis. » Dans les conférences qui avaient précédé ces propositions écrites, le négociateur vénitien, qui était le procurateur François Pesaro, avait laissé voir trop évidemment le besoin qu’il avait de chercher des difficultés, par le soin qu’il prenait de déplacer les faits, et de tirer de la même circonstance deux propositions contraires. Tantôt il affectait ou plutôt il avouait une grande terreur des Autrichiens. «Que « la France, disait-il, nous garantisse contre leur « retour, et alors nous serons libres de manifester « nos sentiments pour elle. » Un moment après, dans la même conférence, il ne s’alarmait plus de la puissance de l’empereur : dans l’état actuel des circonstances de la guerre, l’armée française avait une supériorité assez marquée sur les troupes allemandes; « mais si l’empereur, ajoutait-il, faisait des-« cendre en Italie des renforts considérables, pour «délivrer Mantoue et reconquérir la Lombardie, « ce serait le moment que notre république choisi-« rait pour se déclarer en faveur de la France. » H