LIVRE XL. distribution du sujet, et pour la saine critique et l’élégance du style : malheureusement il n’embrasse qu’une période de vingt-deux ans. L’auteur avait déjà conduit sa narration jusqu’à l’année laüO, lorsqu’un jour il fut enlevé, jeté en prison, jugé, condamné et décapité dans son cachot : son cadavre fut brûlé publiquement. On voit que le gouvernement de Gènes se piquait d'imiter quelquefois les formes de celui de Venise : aucune notification officielle n’a révélé les motifs de cette exécution ; seulement on sait qu’à Gènes on ne punissait de cette manière que l’hérésie, le vice contre nature, ou le sortilège. Je pourrais ajouter à tous ces noms un grand nombre d’hommes savants dans les antiquités et quelques publicistes, à la tête desquels le même Paul Sarpi viendrait encore se placer; mais je ne puis omettre trois hommes, dont les travaux immenses ont, pour ainsi dire, créé l’histoire littéraire, et élevé de si beaux monuments à la gloire de la littérature italienne : le doge Marc Foscarini, Tiraboschi de Bergame, et Mazzuchelli de Brescia, en l’honneur de qui le sénat fit frapper une médaille en 1732. VIII. C’est de Florence que partit la lumière qui, au xin° siècle, vint éclairer l’Italie et toute l’Europe. Le poëme du Dante fit une révolution, parce qu’il créa une langue nouvelle. Mais c’eût été un grand malheur pour les Italiens, si l’orgueil de réciter de beaux vers dans l’idiome national leur eût fait abandonner les langues anciennes. Heureusement Pétrarque, qui suivit le Dante d’assez près, mit encore plus de zèle à propager le culte de l’antiquité qu’à illustrer la poésie moderne. Grâce à lui, les Italiens, en s’élançant dans une carrière nouvelle, eurent au moins des guides. Boccace, son contemporain, fut comme lui un sage conseil et un excellent modèle. Venise, alors réduite à l’enceinte de ses lagunes, et occupée de ses longues et terribles guerres contre les Génois, n’avait à citer à cette époque que le doge André Dandolo, son premier historien; Marc Paul, et le vieux Marin Sanuto, ses premiers écrivains voyageurs ; Christine de Pisan, et le cardinal Louis Donato, qui institua une chaire à Padoue, quoique cette ville fût encore une ville étrangère pour un Vénitien. Tous ces noms ont déjà trouvé place dans cette notice. Le xv° siècle fut celui de l’érudition. 11 fut aussi celui où la république de Venise étendit sa domination sur le continent de l’Italie, et put entrer en partage de la gloire que procuraient à leur terre natale quelques-uns de ses nouveaux sujets. Quatre familles, recominandables par une succession d’hommes qui, de leur temps, obtinrent une juste célébrité, contribuèrent puissamment aux progrès des lettres, par un zèle et des talents héréditaires: les Guarino, de Vérone; les Donato, les Ramnusio, de Venise ; les Ainalteo, d’Oderzo. Ces noms sont presque inconnus aujourd’hui : ils ont été célèbres pendant plusieurs générations. Quoique, en général, l’ambition des savants du moyen âge ne se bornât point à l’érudition, à la dialectique, à l’histoire, et que la plupart prétendissent aussi à la gloire du poêle et de l’orateur; cependant, c’est parmi les philologues que la plupart doivent être classés, si on prend pour règle de cette classification le mérite réel de ces écrivains. Je me contenterai de nommer Paul Albertini, Vic-torin de Fellre, Jérôme Aléandro, Grégoire Amaseo, Jules-César Scaliger, Ognibene de Vicence, Spe-roni, et, dans le dernier siècle, le cardinal Querini, qui fut admiré par le savant Montfaucon, et dont Voltaire célébra le goût et l’amabilité. Enfin, Antoine Conti, physicien, méthaphysicien, savant dans les mathématiques et dans l’histoire, disciple et ami de Newton, voyageur, littérateur, poète dramatique, en qui l’un de ses admirateurs et de scs compatriotes trouve réunies l’érudition raisonnée de Bayle, les hautes vues de Bacon, la profondeur de Lcibnilz, et l'imagination de Platon. Les Vénitiens n’ont pas à citer un aussi grand nombre de noms qui soient devenus célèbres par l’éloquence. La cause en esl dans les mœurs et dans l’organisation politique de leur Etat. La dépendance dans laquelle le gouvernement savait tenir les prêtres; la circonspection de tous les prélats appartenant aux familles patriciennes; le peu de considération qu’on laissait au bas-clergé, dont les désordres étaient non-seulement tolérés, mais encouragés : toutes ces circonstances devaient faire perdre deson autoritéau ministre évangélique, et réduire les orateurs sacrés à une éloquence populaire. Toutes les affaires politiques se traitant dans des assemblées, il devait sans doute y avoir une émulation d’éloquence parmi les hommes appelés à ces délibérations; mais, comme je l’ai déjà fait connaître, l’usage de la langue toscane leur était interdit ; mais ces assemblées étaient secrètes, niais elles revenaient tous les jours : les formes oratoires durent être bientôt épuisées ; et quand le succès des délibérations intéresse sérieusement les orateurs, ils s’attachent à réussir plutôt qu’à briller. Il n’est pas douteux que, dans les assemblées d’Ëtat qui se sont tenues à Venise pendant tant de siècles, des hommes savants, animés, ayant à discuter de grands intérêts, n’aient eu occasion de prononcer de belles harangues. L’histoire en a recueilli quelques-unes; mais leur mérite littéraire est ce que nous y cherchons le moins, et ce dont leurs auteurs durent le moins s’occuper. L’éloquence du barreau,