LIVRE XXXIII. 141 obtenir un secours plus efficace que celui des princes d’Italie. Depuis quelque temps, cette puissance leur témoignait une affection qui n’était pas désintéressée. On raconte que le cardinal Mazarin, qui savait rarement aller à son but par lesvoiesdirectcs, ayant conçu le projet de marier Louis XIV avec Marie-Thérèse, fille du roi d’Espagne, feignit de projeter une autre union, pour faire désirer celle-ci. Il annonçait même le dessein de pousser la guerre contre l’Espagne avec vigueur, de conquérir le Milanais, et d’attaquer le royaume de Naples. Afin de donner plus d’apparence à ce dessein, il lit proposer une alliance aux Vénitiens, en leur offrant, pour prix de leur coopération, un subside, une partie du Milanais, lorsqu’il serait conquis, et les ports qu’ils possédaient autrefois sur les côtes de Naples; et il ajoutait à ces offres les promesses les plus solennelles d’un secours considérable pour la défense de Candie. Soit que le sénat eût pénétré cette finesse, soit qu’il lui parût déraisonnable d’entreprendre une nouvelle guerre, lorsqu’il en avait déjà une si difficile à soutenir, il montra qu’il savait se défendre d’une proposition insidieuse, et celle-ci n’eut aucune suite. En 1660, lorsque le mariage de Louis XIV avec l’infante eut été accompli, les Vénitiens réclamèrent l’intérêt que ce prince avait bien voulu prendre à la guerre dans laquelle ils se trouvaient depuis si longtemps engagés. Le roi leur accorda un secours de quatre mille hommes, qui allèrent renforcer l’armée avec laquelle le capitaine-général, François Morosini, après avoir menacé l’ile de Né-grepont, se disposait à surprendre la place de la Canée. Débarqués devant cette place, les Français curent à soutenir quatre combats fort sanglants, dans l’intervalle du 215 août au 115 septembre. Transportées à Candie, ces troupes, en y arrivant, marchèrent contre l’ennemi, dont elles forcèrent le camp, qu’elles se mirent à piller ; mais, pendant le pillage, les Turcs se précipitèrent sur elles, les mirent en fuite dans le plus grand désordre, et les forcèrent à rentrer dans les fortifications, laissant sur le champ de bataille 1,1500 des leurs. La peste vint moissonner les débris de cette petite armée. Les Vénitiens se débarrassèrent de ces auxiliaires malades, en les envoyant d’abord à Slan-dia, sous prétexte d’y trouver quelques rafraîchissements, puis à Milet, puisà Naxos, et dans diverses îles de l’Archipel, pour y lever les tributs dus à la république. C’est au sujet de ces quatre mille hommes que l’archevêque d’Embrun, la Fcuillade, alors ambassadeur à Venise, écrivait, dans le style si malheureusement à la mode à sa cour : « Il serait à désirer que la république fit un grand effort, de son côté, pour reprendre la Canée; autrement, ce secours ne sera un secours suffisant qu’en la manière que l’expliquent les théologiens dans la matière de la grâce, qui est de telle nature que, quoiqu’il enferme la puissance d’agir, il ne donne jamais l’action, et n’est point efficace. » Ces divers échecs furent si sensibles à Morosini, qu’il s’en prit au provéditeur de l’armée, Antoine Barftaro, et le condamna à perdre la tête : le condamné appela de ce jugement à Venise ; il y fut absous, il en résulta même une information contre le capitaine-général. Cette information ne produisit rien à la charge de Morosini, qu’un reproche de trop de sévérité ; mais son rappel fut prononcé, et on lui donna pour successeur George Morosini, un de ses parents. Il faut qu’un gouvernement soit bien sûr de sa force, pour mettre en jugement un général d’armée, avant de l’avoir dépouillé du commandement. George Morosini s’empressa de marcher à la rencontre de la flotte turque, l’aperçut près de l’île de Tine, au moment où elle y opérait une descente, la poursuivit, prit ou détruisit une vingtaine de bâtiments. Les Turcs ne firent point, pendant cette campagne de 1661, ni pendant les trois suivantes, des efforts décisifs ; occupés de la guerre de Hongrie, où iis avaient été battus, privés de leur visir Méhémed Kiupergli, qu’une attaque d’apoplexie avait emporté, et qui avait été remplacé par Ach-met, son fils, ils renouvelèrent des propositions d’accommodement avec la république. Malgré les hostilités, elle entretenait toujours à Constantinople un agent, avec un caractère semi-officiel, tant que la Porte voulait bien l’y souffrir. Le nouveau visir, Achmet Kiupergli, fit dire à cet agent que le grand-seigneur pourrait accorder la paix aux Vénitiens, s’ils lui cédaient la moitié de l’île de Candie; il voulait bien leur en laisser la partie orientale, où étaient Candie et Scttia ; celle qu’il se réservait, devait comprendre la Canée et Retlimo, que les Turcs occupaient déjà, et la Suda, qu’ils assiégeaient encore. Le sénat délibéra longtemps, et finit par ne point accepter ces propositions. Cependant les Turcs continuaient la guerre en Hongrie; ils perdirent, en 1664, près du château de Saint-Gothard, sur le Raab, une grande bataille. La république en concevait d’heureuses espérances, lorsqu’elle apprit que les Turcs venaient de conclure la paix avec l’empereur, et qu’elle allait avoir à soutenir seule tous les efforts de l’empire ottoman. Alors on se hâta de renouer la négociation, mais la Porte ne voulut plus laisser aux Vénitiens que la capitale de Candie et quelques places démantelées : elle exigeait aussi la démolition des fortifications