200 HISTOIRE DE VENISE. massacrée; les membres du conseil sortirent de leurs places en criant : Aux voix! aux voix ! et la délibération fut sanctionnée par cinq cent douze suffrages. Il y en eut douze contre, et cinq voix nulles. Voici le texte de cet acte qui consommait la destruction du gouvernement vénitien : Le 12 mai 1797. EN GRAND CONSEIL, u La nécessité de pourvoir au salut de la religion, de la vie et des propriétés de tous les chers habitants de cet État, a déterminé le grand-conseil à prendrelesdélibérations du leretdu4de ce mois, qui donnent à ses députés près le général en chef de l’armée d’Italie, Bonaparte, tous les pouvoirs nécessaires pour remplir cet objet si important. « Aujourd’hui, pour le salut de la religion et de tous les citoyens, dans l’espérance que leurs intérêts seront garantis, et, avec eux, ceux de la classe patricienne, et de tous les individus qui participaient aux privilèges concédés par la république; enfin, pour la sûreté du trésor et de la banque ; » Le grand-conseil, constant dans les principes qui ont dicté les deux délibérations susdites, et d’après les rapports de ses députés, adopte le système, qui lui a été proposé, d’un gouvernement représentatif provisoire, en tant qu’il se trouve d’accord avec les vues du général en chef; et comme il importe qu’il n'y ait point d’interruption dans les soins qu’exige la sûreté publique, les diverses autorités demeurent chargées d’y veiller. « Valestin Mari ni, secrétaire. >> Le conseil se sépara en tumulte. Les plus effrayés se réfugièrent dans leurs maisons. Quelques personnages se réunirent chez le doge, et l’ancien gouvernement se trouva aboli, sans que rien lui eût été substitué. Cependant le peuple, qui remplissait les avenues du palais, vit arborer à une feriêtre un signal, qui annonçait la délibération prise à l’instant même. Aussitôt des sentiments divers éclatèrent. On entendit à la fois les cris de Vive la liberté! Vive Saint-Marc! Les uns élevèrent des drapeaux sur les trois mâts qui sont au milieu de la place ; les autres portèrent dans les rues l’image du patron de la république. La foule, qui obstruait la place et les rues voisines, s’agitait; des soldats s’y mêlèrent. On alla piller les maisons de quelques hommes connus pour avoir participé à celte révolution ; le pillage s’étendit jusqu’aux magasins. Le désordre croissait et se propageait avec une effrayante rapidité. Il n’y avait ni chefs pour diriger les mouvements populaires, ni autorité pour les contenir. La nuit était avancée, et des troupes d’hommes furieux parcouraient les rues, en pillant les maisons et en proférant des imprécations diverses. Ce ne fut que vers les deux heures du matin qu’on parvint à rassembler quelques détachements de troupes. Deux cents soldats, postés sur le pont de Rialte, firent feu sur un rassemblement qui se dirigeait de ce côté : quelques décharges de canon le dissipèrent : il y eut une vingtaine d’hommes tués, et le lendemain une proclamation défendit, sous peine de mort, toute opposition à la révolution qui venait d’être consommée. XII. Une municipalité provisoire de soixante membres fut créée, parmi lesquels il y avait seulement dix patriciens : mais elle remit son installation jusques après l’entrée des troupes françaises. On jugea nécessaire de préparer le peuple à recevoir ces étrangers. Le 10, la llollille alla chercher, au delà des lagunes, une division d’à peu près trois mille hommes, qui vinrent débarquer sur la place Saint-Marc, et qui furent accueillis, par une partie de la population, avec une joie bruyante, que démentait le morne silence des autres. C’était dans cet instant même qu’à Milan les plénipotentiaires du grand-conseil signaient le traité. Quand ce traité arriva, il n’y avait plus de conseil pour le ratifier; et, par une circonstance singulière, c’était ce jour-là même que le directoire exécutif notifiait à l’ambassadeur de la république l’injonction de quitter Paris. Tels étaient alors le désordre de l’organisation sociale et la marche précipitée des événements, qu’à Paris on déclarait la guerre, à Milan on signait la paix, à Venise on faisait une révolution. Le directoire, le général, un secrétaire, agissaient sur des plans divers. Un gouvernement renommé, depuis des siècles, pour sa prudence, n’avait su ni agir, ni délibérer, ni attendre, et Venise se trouvait livrée à discrétion. Les premiers jours qui suivirent la dissolution de cette antique aristocratie, ne pouvaient qu’être marqués par les démonstrations si souvent équivoques de l’assentiment populaire. La démolition des prisons de l’inquisition d’Etal fut décrétée, et on mit à leur place celte inscription : Prisons de la barbarie aristocratique triumvirate, démolies par la municipalité provisoire de Ve-nise, l'an lor de la liberté italienne, 2ü mai 1797. On a raconté qu’on y avait trouvé un prisonnier qui y gémissait depuis quarante-trois ans. Le 4 juin, le livre d’or fut brûlé en cérémonie, au pied de l’arbre de la liberté. Le patriarche Giova-nelli et son clergé prêtèrent serment. D’autres changements analogues à l’esprit du temps furent introduits. Le lion de Saint-Marc tenait un évangile ouvert, sur lequel on lisait : l'as tibi, Marce, evangelista meus ; on y substitua ces