234 HISTOIRE DE VENISE. Que la malveillance fût mérité ou non, il était évident qu’elle existait. Malheureusement les désordres inséparables de la guerre devaient irriter ce sentiment, et lui donner de jour en jour un nouveau degré d’énergie. Plus il était facile aux soldats, dont le discernement est rarement en défaut, de juger que la population vénitienne ne les accueillait pas avec bienveillance, moins ils devaient être portés à se l’attirer. D’ailleurs le plan de cette guerre n’avait pas été conçu avec toute la grandeur qui se développa dans son exécution, et les moyens par lesquels 011 en avait préparé le succès, n’avaient rien qui répondit à l’importance de l’entreprise. La France était épuisée de tout, excepté de sang; et de là devait résulter un système de guerre, toujours onéreux pour l’habitant, mais qui devait être bien plus odieux à un peuple qui mettait sa défense dans la foi qu’il voulait qu’on ajoutât à ses protestations de neutralité. Les soupçons conçus d’une part, les appareils militaires imprudemment ordonnés de l’autre, le refus de l’alliance, et une multitude de circonstances, que chacun appréciait au gré de sa passion, établirent bientôt entre les deux gouvernements cet échange de reproches, qui précède ordinairement les ruptures, sans les justifier. Le représentant de pas plus d’influence sur les amis de la Fiance que sur le sénat même... il fallait pourtant prendre 1111 parti. Désarmer ceux deBrescia et de Bergame, Je déclarer tout-à-fait pour le sénat en proscrivant les novateurs, en remplir les cachots de Venise, c’eût été s’aliéner le parti populaire sans se concilier l’affection du sénat; et si cette atroce politique eût pu entrer dans l’esprit du général français, elle eût eu pour résultat infaillible, comme sous Louis XII, de réunir à la fin toute la population contre lui. Porter le sénat à s’allier avec la France, en modifiant sa constitution, en se rendant agréable aux peuples de la terre-ferme, c’était sans doute le meilleur parti ; aussi le général français avait-il tout tenté pour l’y amener... Il s’offrait un troisième parti : de marcher sur Venise, de saisir celte capitale, et d’y opérer par la force le changement politique nécessaire, en modifiant ses lois et procurant la supériorité aux partisans de la France. C’était la vraie manière de couper le.noeud, ne pouvant le dénouer; mais quand après avoir âti&é ce projet, il voulait déterminer le moment de l’exécution, il lui devenait impossible de le concilier avec les circonstances et son grand projet survienne. . « 11 11e pouvait marcher sur Venise tant que le prince Charles serait sur la Piave. 11 fa*llai#donc commencer par le battre et le chasser d'Italie. Mais si l’on obtenait ce grand avantage, convenait-il alors de perdre le fruit de la victoire? fallait il retarder le passage des montagnes pour ramener la guerre autour de Venise? C’élait donner au prince Charles le temps de se reconnaître, de se renforcer, de créer de nouveaux obstacles; on ne^pouvait attaquer Venise sans avoir battu le prince Charles, qui la couvrait, et on ne le devait pas après l’avoir battu, parce qu’alors le temps était trop précieux, et qu’il convenait de le poursuivre jusqu’à Vienne. la république française développa dans une note, la longue série des griefs, dont il avait évité de faire mention pendant qu’il négociait l’alliance. Ces griefs consistaient en injures faites à des Français, ou en démonstrations de partialité en faveur de leurs ennemis. La réponse fut évasive cl récri-minatoire, comme 011 devait s’y attendre. Les espérances des ennemis de la France renaissaient au moindre événement qui semblait devoir remettre en question la conquête de l’Italie; et telle était l’imprudente facilité avec laquelle on se livrait à ces illusions, qu’après la paix signée entre le gouvernement français et le roi des Deux-Sicilcs, le ministre napolitain, qui avait reçu l’ordre d’en faire part au sénat de Venise, crut décent de se dispenser de voir le ministre de la république française, disant hautement qu’il ne croyait pas ce traité plus solide qu’une toile d’araignée. Si on veut bien réfléchir sur toutes ces circonstances, on reconnaîtra qu’elles conseillaient aux Français de chercher des garanties autre part que dans les actes diplomatiques, et des auxiliaires ailleurs que dans les gouvernements. Aussi, laissant à celte partie de la population, dont leurs principes favorisaient les intérêts, le soin d’exprimer ce qu’on appelait la volonté générale, virent-ils succcssive- « Cette nouvelle guerre ne manquait pas d’éprouver de grandes contradictions à Paris : Venise y avait un ministre très-actif; les conseils y étaient en opposition avec le directoire; le directoire lui-même était très-divisé. Si Napoléon consultait le directoire sur l’entreprise de Venise, celui-ci ne répondrait pas ou éviterait la question. Si, comme il avait fait jusque-là, il agissait de son chef sans demander d’autorisation, à moins d’un succès immédiat, on lui reprocherait d’avoir violé tous les principes. Il n’avait le droit, comme général en chef, que de repousser la force par la force; une nouvelle guerre contre une puissance indépendante ne pouvait être faite sans l’ordre de son gouvernement : c’eût été se rendre coupable de l’usurpation des droits de la souveraineté. 0 On ne put donc prendre le parti décisif de déclarer la guerre à Venise, 1» parce qu’on n’en avait pas le droit; 2» parce que cela n’était pas conciliable avec le projet de porter la guerre en Allemagne sans délai. L’épisode de Venise pouvait devenir une affaire principale qui eût fait manquer la grande affaire de Vienne. Il fallut donc se résoudre vis-à-vis des Vénitiens à de simples précautions militaires. On était sûr de Brescia, de Bergame et de tout le pays sur la rive droite de l’Adige. Ses troupes occupaient les citadelles de ces deux villes. Vérone, moins bien disposée, fut contenue non-seulement par ses châteaux bien approvisionnés, mais encore par le vieux palais sur la rive droite qu’on fit armer, qui devint une véritable citadelle au milieu de la ville, et rendit maître absolu des trois pouls de pierre. Toutes les troupes qui avaient été employées à l’expédition contre le pape furent destinées à former une réserve qui se tiendrait sur Vérone et se porterait partout où il serait nécessaire. »