310 HISTOIRE DE VENISE. ricux copiste de manuscrits. Guarino de Vérone reçut de la munificence pontificale quinze cents écus d’or pour les traductions de Plularque et de Stra-bon. Mais il n’y a que la reconnaissance universelle qui puisse acquitter la delte des lettres envers ce inaitre de tous les savants, comme l’appelait le pape Pie II, envers cet amateur passionné de l’antiquité, à qui nous devons une grande partie des livres grecs qui sont parvenus jusqu’à nous. Voyages, fatigues, dépenses, rien ne lui coûtait pour découvrir des manuscrits ; et plus éclairé que les conquérants qui l’avaient devancé, il rapportait avec joie dans sa patrie les plus précieuses dépouilles de Conslaritinople. Je ne dois point séparer son nom de celui de scs deux contemporains, avec lesquels il fut en communauté de travaux, le Sicilien Jean Arispa et le Florentin François I’hilelphe. Ils eurent le bonheur, suivant l’expression du Pogge, de délivrer un grand nombre d’illustres captifs, retenus chez les Barbares. Ces Barbares étaient alors les Grecs, et ces captifs Xénophon, Pindare, Strabon, Platon, Plutar-que, Lucien, Callimaque, Orphée, Arrien, Dion, Eusthate, l’rocope, üiodore de Sicile et plusieiys autres. Nicolas Perotti publia en latin Polybe, Hippo-crate, Épie tôle, et un commentaire sur Aristote et sur Horace. Barbaro s’exerça aussi sur Aristolc ; et Rotnolus Amaseo, qui, suivant l’expression d’un savant critique, remplissait l’Italie entière de ses élèves et de sa renommée, traduisit Xénophon et Pau-sanias. Aristote et Xénophon trouvèrent encore un interprète dans Bernard Donato. Le premier des savants hommes qui illustrèrent le nom de Ramnusio (Jérôme), traduisit quelques auteurs arabes, notamment Avicène, et la première traduction qui ait été faite de la Bible en langue italienne, fut l’ouvrage d’un Vénitien nommé Malermi, religieux de l’ordre des cainaldules. Elle parut en 1471. Le grammairien Jérôme Aleamlro a droit de notre part à une mention particulière. Appelé en France par Louis XII, ses profondes connaissances dans la langue grecque et dans les langues orientales lui méritèrent d’étre placé à la tête de l’université de Paris, qu’il dota d’un lexique grec et d’une grammaire. Elevé à l’épiscopat, et nonce du pape auprès de François Ier, il suivit ce prince jusque sur le champ de bataille de Pavie. Promu à la dignité de cardinal, il alla combattre en Allemagne l'hérésie naissante, et a fourni de précieux matériaux à l’histoire du concile de Trente. Tant de travaux sur la langue grecque, tant d’ouvrages composés eu latin, devaient faire sentir le besoin de lexiques moins imparfaits que ceux qu’on avait eus jusqu’alors. Venise vit paraître le dictionnaire polyglotte d’Ambroise Calepin, que perfec- tionna dans la suite Egidio Forcellini de Feltre, en faisant concourir à ce travail les élèves du séminaire de Padoue qu’il dirigeait. L’émulation fut excitée par de savants professeurs, qui, à Padoue, à Venise, à Pordenone, attirèrent un nombreux concours d’auditeurs, et répandirent la connaissance des chefs-d'œuvre de l’antiquité. Parmi ces professeurs, on ne peut se dispenser de citer Baptiste Egnatio et Aide Manuce. Parmi les auditeurs, un grand nombre sont devenus illustres, et ceux qui l’étaient déjà ne dédaignaient pas d’assister à ces leçons. Je ne nommerai qu’Erasrne, qui était venu à Padoue pour entendre Marc Mazurus de Candie. Bastien Erizzo, Pierio Valeriano Bolzani de Bel-lune, Onufre Panvinio de Vérone, Laurent Pigno-rius de Padoue, et Jérôme Aleandro, neveu du grammairien de ce nom, se distinguèrent dans la science des antiquités. Dans la philologie on peut citer le cardinal et savant humaniste Jean Jérôme Aibani, Pierre Donato, évêque de Padoue, et Jules Scaliger de Vérone, que j’aurais dù nommer le premier, médecin et philologue, également célèbre par sa vaste érudition et par ses succès dans la poésie. Tels furent les travaux qui aplanirent la carrière aux muses vénitiennes et leur permirent de parler la langue maternelle. IV. Les hommes que je viens de citer furent les précurseurs d’écrivains plus universellement connus. Mais ils ne peuvent pas revendiquer toute la gloire de ces succès. Le gouvernement avait encouragé l’instruction par toutes les institutions propres à la répandre. Une des premières écoles que l’on eut vues à Venise, fut celle qu’y établirent en 1109 les familles industrieuses qui, chassées de Lucques par les persécutions des guelfes, vinrent chercher un asile dans les lagunes. On voit que l'art de fabriquer la soie, qu’elles enseignèrent à leurs hôtes, ne fut pas leur unique bienfait. Cette école a été maintenue jusqu’à ces derniers temps. Après avoir conquis Padoue, la république n’oublia pas que l’université de celte ville, déjà célèbre dès le xii° siècle, et devenue plus florissante par les malheurs de l’université de Bologne, que l’empereur Frédéric 11 avait voulu supprimer en 1222, et que plusieurs papes avaient frappée d'interdit, était un des fruits les plus précieux de sa conquête. Comme Athènes, Padoue polit ses vainqueurs : on a reproché à ceux-ci d’avoir, par une fausse politique, aboli les privilèges que l’université de Padoue avait reçus de la munificence des empereurs, comme si c’était un moyen de faire oublier le bienfaiteur que de supprimer le bienfait : mais cette imputation ne parait nullement fondée. Si on priva