118 HISTOIRE I)E VENISE. proposition, et l’armée française, presque tout entière, repassa les Alpes, pour aller faire la guerre aux huguenots, dans le Languedoc. Cette retraite laissait les Espagnols maîtres de Pltatie, et obligeait les Vénitiens à rester dans les limites de la plus exacte circonspection. Ils offrirent au duc de Man-toue tout ce qu’ils,pouvaient lui fournir, à l’exception d’une armée. Cependant la fermeté de ce prince finitparleur inspirer unerésolution plus généreuse. Ils firent avancer près de vingt mille hommes et en détachèrent cinq ou six mille, pour l’aider à défendre sa capitale, car c’était sur ce point qu’il était obligé de concentrer toutes ses forces. Mantoue assiégée soutint vigoureusement les efforts des Espagnols et des Autrichiens réunis. Tandis que le duc disputait les approches et faisait de fréquentes sorties, la petite armée des Vénitiens fatiguait l’armée assiégeante et ravitaillait deux fois la place. Richelieu jugea cependant qu’il y aurait de la honte à laisser accabler un prince, qui se montrait si digne de son rang. 11 fit avancer une seconde fois l’armée française, et comme on avait à se plaindre du duc de Savoie, qui avait encore changé de parti, les Français se mirent à le dépouiller de ses Etats. Pendant qu’ils agissaient ainsi pour eux-mêmes, ils prétendaient s’acquitter envers le duc de Mantoue par cette diversion, et comme ils avaient attiré du côté des Alpes une partie de l’armée ennemie, ils disaient que c’était aux Vénitiens de faire un effort, pour disperser ce qui était resté devant Mantoue. VII. Le sénat se détermina à le tenter, mais cette entreprise eut un succès tout contraire; l’armée de la république fut battue, ou plutôt dispersée, à Valesso, et se retira en désordre, des bords du Min-cio jusqu’à l’Adige. Cette déroute de Valesso, l’un des événements les plus honteux pour les armes vénitiennes, fut le résultat d’une terreur panique. Les Autrichiens, après avoir délogé quelques postes, étaient venus camper le soir à environ un mille de l'armée qui était sous cette place. Pendant la nuit les Vénitiens tinrent conseil; ils avaient dix-sept mille hommes, les ennemis n’en avaient pas la moitié, cependant tout le monde opina pour la retraite, chacun se hâta de l’effectuer, et ce fut avec une telle précipitation, qu’on marcha sans aucun ordre, et qu’on oublia des détachements. Le commandant de Valesso, se voyant abandonné à ses propres forces, renonça à se défendre, et mit le feu à ses magasins. Lalueur de l’incendie avertit les Autrichiens qu’il se passait quelque chose d’extraordinaire : ils envoyèrent une reconnaissance pour tâter la grande-garde, il ne s’en trouva point; ils avancèrent avec précaution, le camp était abandonné; dès que le jour parut, ils se mirent à la poursuite de l’armée fugitive, ramassèrent à peu près deux mille Vénitiens errants dans la campagne, et accompagnèrent le reste, avec les railleries les plus piquantes, jusque sur les glacis de l’cschiera (1630). A Venise, on s’en prit de cette retraite au patricien Zacharie Sagredo, assez injustement, car c’était la première fois qu’on l’avait employé à l’armée, et on n’était pas en droit d’exiger de lui de l’expérience. Dans toute l’Italie, les ennemis de la république, ses alliés même, prirent soin de publier sa honte : on prétendit que les Autrichiens avaient poursuivi son armée à coups de bâton, et un Génois nommé Capriata, consigna, dans une histoire qu’il publia sur cette guerre, tout ce qu’il pouvait y avoir de plus amer pour les Vénitiens, et de plus mortifiant pour Zacharie Sagredo. A quelque temps de là, celui-ci se trouvait membre de l’inquisition d’Etat, lorsqu’un banni vint proposer à ce tribunal, si on voulait lui promettre sa grâce, de tuer l’historien satirique qui devait leur être si odieux : la chose mise en délibération, Sagredo eut la grandeur d’âme de s’y opposer, et la gloire de sauver la vie à un homme qui l'avait cruellement offensé. Ceci se passait en 1630. Le gouvernement vénitien obtint desEtals-Généraux la permission de faire une levée de quatre mille hommes en Hollande (1). Malgré sa promptitude à réorganiser son armée, et malgré les mouvements qu’elle fil en avant, les Autrichiens parvinrent à surprendre Mantoue. Cette ville, où il ne restait pas mille hommes de garnison , venait de perdre, en trois mois , vingt-cinq mille de ses habitants, par les ravages de la peste. Les ennemis y entrèrent à la faveur d’une attaque de nuit et de quelques intelligences. La ville fut livrée au pillage, et le duc, surpris dans son palais, n’obtint que la liberté de sortir de sa capitale. VIII. Cette conquête rendit l’empereur arbitre du sort des principautés de Mantoue et de Mont-ferrat; mais, comme il se trouvait alors pressé en Allemagne par les Suédois, il conclut avec la France un traité, qui devait mettre fin aux discordes de l’Italie. Par cet arrangement, le duc de Mantoue recouvrait ses États, et n’était obligé de sacrifier que la ville de Trino , qu’il devait céder au duc de Savoie ; et en conséquence de cette acquisition, qu’elle ne demandait pas, on prétendait forcer la cour de Turin à abandonneraux Français Pignerol, Suze, Avigliana et Brieheras (1631). Ainsi, au moment où le duc perdait sa capitale, une descente de Gustavc-Adolphe en Poméranie obligeait l’empereur à lâcher prise, et faisait triom- (1 ) Hist. générale des Provinces-Unies, .par Dojakdis et Seilids, liv. 26.