508 HISTOIRE I)E VENISE. que c’était par respect pour sa majesté, qu’on s'abstenait de procéder autrement; car les ambassadeurs n’avaient droit aux égards du gouvernement qu’autant qu'ils exerçaient leur charge comme ils le devaient, et non quand ils complotaient la ruine d’une république et de tant de créatures innocentes. Après quoi, l’ambassadeur partit tout confus, et immédiatement après des courriers furent expédiés en Espagne, à Rome, en France, en Angleterre, pour y rendre compte de tout ce qui s’était passé. Les Hollandais impliqués dans cette affaire, c’est-à-dire les deux frères, furent de nouveau amenés devant les illustrissimes inquisiteurs d'État : on leur lit les dernières interpellations, le premier persista dans son système de réponse. Un lui dit qu'il fallait se résoudre à dire la vérité, qu'il n’avait pas dite jusqu’à présent; et comme il persistait dans scs dénégations, il fut appliqué à la torture de la corde; on lui donna plusieurs secousses, en le laissant tomber de haut eu bas. L’avoga-dor lui dit qu’il y prit garde, que c’était là le remède dont 011 se servait avec les obslinés qui refusaient de dire la vérité à la justice; et, après plusieurs tentatives inutiles, on lit venir son frère, qui confessa tout. Dans la confrontation, le premier persista à tout nier, quoique déjà presque estropié ; après deux heures de torture, il commença à faire des aveux conformes à la déclaration du second. Dans la soirée, on leur annonça leur arrêt de mort; on leur envoya un confesseur, et immédiatement ils furent étranglés dans la prison, et le lendemain pendus au gibet par un pied. Avec ces deux frères moururent vingt-neuf autres complices, lesquels, tous reconnus coupables et containcus, avouèrent dans les tourments qu'ils avaient voulu mettre le feu à l’arsenal et en divers endroits de la ville, et mettre Venise au pillage. Ils furent noyés dans le canal Orfano, afin de ne pas ébruiter l’affaire. Les inquisiteurs lirenl île nouveau amener devant eux M. d'Arnault; ou l’avertit qu’il fallait absolument dire la vérité, la justice ayant en main des moyens pour la lui faire dire, en lui montrant la corde, le feu et les autres instruments de la torture; mais il persista dans scs dénégations. On lui donna l’estrapade, sans en obtenir aucun aveu. On la lui donna encore pendant une heure de suite. Il fut interrogé s'il connaissait le capitaine Laurent Rrulard ; il répondit que non. Sommé de dire la vérité, et averti que cette corde l’avait fait dire à d’autres malgré eux, il ne répondit autre chose sinon qu’il mettait son espérance dans la majesté divine, et qu'on ne lui ferait pas dire ce qu’il ne savait pas. Immédiatement le secrétaire Comino lui dit tout ce qui concernait le capitaine Rrulard. Requis encore de déclarer la vérité dont la justice était informée, et averti que, s’il la disait, il aurait à s’en féliciter, il fut torturé de nouveau plusieurs fois ; et, à la fin, pour rendre la douleur plus aigué, il reçut cinq secousses de suite, et fut enfin condamné. Le jour suivant furent ramenés devant les inquisiteurs le capitaine Rrulard et son compagnon. Examiné séparément, le capitaine Rrulard déposa comme la première fois. Le compagnon persista dansscs dénégations. L’avogador lui fit donner trois secousses de corde, mais sans en obtenir davantage. Il fut confronté avec Laurent Brulard, à qui on donna encore la question une fois, pour qu’il confessât ce qu’il avait déjà avoué dans les tourments, et pour qu’il nommât lesaulres complices. Il nomma toute une troupe de capitaines, de sergents, d’autres gens de guerre, dont une partie était déjà arrêtée. On les amena devant les inquisiteurs: plusieurscon-fessèrent le complot, s’excusant sur leur chef, qui leur avait promis un grand butin à Venise, cl qu’ils avaient accepté d’y prendre part. Ils furent reconnus par le capitaine Rrulard. Ensuite les inquisiteurs délibérèrent s’il convenait de faire grâce de la vie à Brulard, et de mettre seulement aux galères perpétuelles ceux qui n’étaient pas les chefs de la conjuration; mais après une mUre délibération, et de l’avis de l’excellcntissime conseil des Dix, il fut reconnu qu’on ne pouvait laisser vivreaucun de Ceux qui étaient impliqués dans une telle affaire. En conséquence, cinquante furent étranglés, et un plus grand nombre furent ensevelis secrètement. Le susdit Laurent Rrulard fut confronté de nouveau avec son compagnon, mais celui-ci ne voulut jamais confesser la vérité. D’Arnault fut ramené devant les inquisiteurs, appliqué encore à la torture, sommé par les ministres de la justice de faire une déclaration sincère, lié de nouveau et élevé en l’air comme de coutume. L’avogador l’exhorta à dire la vérité et à ne pas se laisser torturer ; à quoi il répondit : Je l'ai dite. Le capitaine Laurent Brulard fut amené, lecture lui fut donnée de sa déclaration, dont il approuva le contenu; il fut confronté avec d’Arnault, qui persista toujours à dire qu’il était homme de bien et qu’on le tourmentait injustement, ou le tortura encore sans en obtenir autre chose que de crier : Assassins, chiens, Irailres, roleurs, assassins. Les inquisiteurs surfirent un moment de la chambre des tortures pour passer dans une autre salle, il se mit à crier qu’il tombait, sentant sa main droite se délier, les inquisiteurs et l’avogador accoururent, on le Ot descendre, et l’avogador et le secrétaire l’engagèrent à dire la vérité plutôt que de se laisser estropier; il répondit qu'on le liât mieux, parce