LIVRE XXXVII. 219 XXXIX. « Il était à peu près quatre heures du soir, disent dans leur rapport le provéditeur et le podestat, lorsque, sans que rien nous en eût fait connaître la cause, on entendit partir du fort le plus élevé au dessus de la ville, trois coups de canon à poudre, qui paraissaient un signal. Ils furent aussitôt suivis de beaucoup d’autres à boulets, qui étaient dirigés contre le palais. Aussitôt le peuple cria vengeance, sonna le tocsin, et encouragé par la proclamation de vos excellences, du 12 avril dernier, se lança contre les Français répandus dans la ville. Militaires, employés d’administration, femmes, tout fut attaqué sans distinction ; et le massacre fut considérable, car on compta plus de cent Français tués et vingt-six Vcronais. L’agitation était extrême; toute la population en armes parcourait les rues et menaçait de mort quiconque était suspect d’inclination pour les Français. « Empressés de connaître la cause de ce malheur et d’en prévenir de plus grands, nous parvînmes, non sans peine, à faire élever un drapeau blanc sur la grande tour et à faire cesser le tocsin. Les forts Saint-l’ierre et Saint-Félix suspendirent leur feu ; le vieux château continua de tirer. Nous envoyâmes deux parlementaires, pour demander la raison de ces actes d’hostilité. Le commandant Bcaupoil leur dit qu’il était sous les ordres du général Balland ; que, sachant que les hostilités avaient été provoquées, non par le gouvernement vénitien, mais par le peuple, il allait descendre pour en conférer. Il s’achemina en effet, mais le peuple en fureur le coucha en joue, et il se retira pour attendre une escorte. u Cependant la fermentation croissait, les massacres continuaient, nous tâchions de ramener le calme. Nos exhortations furent inutiles. Le provéditeur François Emili voulait chasser les Français des forts; six cents Esclavons et deux mille cinq cents paysans, avec deux pièees de canon, se précipitèrent vers la porte San-Zeno, attaquèrent cent cinquante Français qui y étaient de garde, et les forcèrent à capituler. «Dans le même temps le capitaine Coldogno, avec quarante dragons, se rendait maître delà porte Vescovo, faisant prisonniers soixante-dix Français qui s’y trouvaient. Le comte Nogarola s’empara de celle de Saint-Gerge, avec le secours des habitants qui combattaient en dedans, et des paysans qui attaquaient par dehors. Le combat fut long, et il y eut beaucoup de sang répandu, avant que quatre-vingt Français, à peu près, qui gardaient cette porte, missent bas les armes. « On combattait aux portes, et le canon du château vieux continuait de tirer, lorsque le commandant Beaupoil, accompagné seulement de deux aides-dc-camp, mais escorté par la garde bourgeoise, parut à l’entrée du palais. On ne l’eut pas plus tôt reconnu, qu’il fut assailli par derrière, saisi par les cheveux, désarmé ainsi que ses aides-de-camp, maltraité, et ce ne fut qu’avec beaucoup de peine que les officiers qui l’entouraient lui sauvèrent la vie. Vous jugez s’il se plaignit de celle violation du droit des gens. h Lorsque nous fûmes en conférence et qu’on lui eut demandé pourquoi le général Balland foudroyait de son artillerie une ville qui, depuis dix mois, exerçait l’hospitalité envers les Français, et qui appartenait à une puissance amie; il nous répondit qu’il fallait l’attribuer au meurtre d’un chef de bataillon et de trois autres Français, qui venaient d’être assassinés, avant que le feu des châteaux n’eût commencé. Pour profiter des dispositions qu’il montrait, nous lui proposâmes de faire cesser le feu des châteaux, et d’arrêter la marche d’un corps de troupes qui venait de Peschiera au secours de ses gens. 11 y consentit, mais il ne pouvait qu’être dans une agitation extrême, car il voyait la fureur des habitants croître de moment en moment, et il entendait les cris de cinq cents Français contre lesquels s’exercait la juste vengeance d’un peuple exaspéré par dix mois de calamités. ii Enfin nous convînmes avec lui qu’on jetterait un voile sur le passé; qu’on l’attribuerait de part et d’autre à des circonstances fortuites; que la bonne harmonie existant entre les deux nations n’en serait point troublée; qu’on ferait sortir de la ville les corps de paysans armés; que, par réciprocité, on n’y ferait point entrer les troupes françaises; que les gardes seraient rétablies sur le même pied qu’auparavant, et qu’on ferait une proclamation pour calmer le peuple. h Cette convention fut portée par lui au général Balland, qui devait la ratifier; mais, au lieu d’une ratification, ce général nous envoya quatre articles, qui étaient : le désarmement général et absolu, dans le délai de trois heures, non pas seulement des paysans, mais même des habitants; le rétablissement des communications; la remise de six otages à son choix; une satisfaction prompte et éclatante pour le meurtre de tous les Français qui avaient été assassinés. « C’était son ultimatum ; il ne donnait qu’un délai de trois heures pour que toutes les armes fussent déposées sur la place, en avant du château. Le feu entre la ville et le château vieux n’avait pas cessé. ii Pendant la nuit, le peuple s’abandonna à sa fureur, pilla non-seulement les propriétés des Français, mais aussi les magasins de vivres, parce qu’ils avaient été formés pour eux, et les maisons de plusieurs habitants. Une foule tumultueuse inondait