70 HISTOIRE DE VENISE. un corps de troupes accourut pour les en chasser; le général eut ordre de s’abstenir, en les poursuivant, d’attaquer les places autrichiennes; niais les campagnes étaient dévastées et les habitants rançonnés. V. L’Autriche, qui sentit bien que cette guerre défensive allait dégénérer en guerre offensive, si l’on ne se hâtait de donner satisfaction aux Vénitiens, les fit inviter à envoyer un commissaire à Segna pour être témoin du châtiment qu’elle allait iulliger aux Uscoques. En effet, les chefs de ces perturbateurs furent pendus sous les yeux de ce commissaire; tous ceux qui se trouvaient dans la ville furent désarmés; on livra à la république ceux de ses sujets qui faisaient partie de cette bande. On défendit à ceux qui furent épargnés de sortir avec des barques armées, et les exécutions ne cessèrent que lorsque le commissaire vénitien voulut bien le trouver bon. On laissa à Segna une centaine d’Usco-ques ; on en dispersa deux fois autant dans la Croatie, le reste errait dans les bois pour éviter le supplice. Le gouverneur qui s’était chargé de celte exécution, n’avait pu déployer une si grande sévérité qu’à l’aide de quelques troupes allemandes. Quand il fallut les renvoyer, pour soutenir la guerre contre les Turcs, il se trouva en bulte à la haine d’hommes entreprenants et désespérés. Ils assiégèrent sa maison, le massacrèrent, et ce meurtre demeura impuni. Aussitôt tous les Uscoques dispersés accoururent à Segna. Tel était l'état des choses en 1602. VI. Leurs pirateries ne tardèrent pas à recommencer ; partis un jour, au nombre de six cents, ils assaillirent, emportèrent, pillèrent, et puis mirent en cendres une petite ville qui appartenait à la l’orte, dans le voisinage de Sébénigo, ville vénitienne. Le butin qu’ils avaient fait étant beaucoup trop considérable pour tenir dans de petites barques, ils s’emparèrent de celles qu’ils trouvèrent à Sébénigo, s’en servirent pour le transport, et puis les coulèrent à fond. Il y avait là de quoi fournir aux Turcs un prétexte pour accuser les habitants de Sébénigo de connivence. Venise, de concert avec l’Autriche, réprima ces excès pendant quelque temps : mais bientôt ils parvinrent à ce point, que les Uscoques enlevaient les filles des habitants les plus aisés de la côte ou des ¡les vénitiennes, cl puis reparaissaient les armes à la main, pour exiger, disaient-ils, la dot de leurs femmes. En 1006, trois de leurs barques attaquèrent cl prirent une frégale qui allait de Cattaro à Venise, avec une somme assez considérable, et des lettres pour le gouvernement ; une partie de l’argent fut rendue par l’aulorilé du gouvernement autrichien. A peine avait-on accommodé celle affaire, que cent cinquante de ces bri- gands surprirent la ville vénitienne de Pola. Ils s’en virent bientôt chassés; niais ce ne fut pas sans enlever leur butin. La flotte de la république vint encore bloquer Segna, et intcrcepler tout commerce, tout approvisionnement, loute communication entre les ¡les vénitiennes et les ports occupés par les pirates. Sur ces entrefaites, l’Autriche ayant conclu une Irève avec les Turcs, défendit aux Uscoques, sous peine de la vie, de donner à ceux-ci aucun prétexte pour recommencer les hostilités. La funeste activité des pirates se tourna contre les Vénitiens, qui éprouvèrent de grands dommages, quoique la présence continuelle de leurs bâtiments armés imposât de pénibles privations aux habitants de Segna, plus ou moins complices de ces brigandages. Le duc de Toscane, le vice-roi de Naples, voulurent prendre quelques centaines de ces bandits à leur solde, pour les faire servir sur leurs galères : il y en eut même qui s’offrirent à la république de Venise : ce moyen de les disperser eût été efficace ; mais le gouvernement autrichien, à qui la diète de Hongrie disputait alors Segna, et qui croyait que la conservation de celle place ne pouvait lui être assurée que par les Uscoques, s’opposa formellement à ce qu’ils allassent servir ailleurs. Leur interdire ce moyen de gagner leur vie, et ne pas leur payer la faible solde qu’on leur avail promise, c’étail les autoriser, les forcer à vivre de pillage. L’Autriche cependant voulut donner aux Vénitiens une espèce de satisfaction ; elle ordonna à ses commissaires de faire enlever toutes les barques des Uscoques, et de les envoyer à Fiume, pour y être brûlées. Les Uscoques tombèrent sur Fiume, reprirent leurs barques, et les emmenèrent avec toutes celles qui étaient dans le port. Malgré les pertes continuelles qu’ils éprouvaient dans des combats presque toujours inégaux, ils se trouvaient alors plus nombreux que jamais. Leurs chefs curent la noire malice de répandre que la cour d’Autriche et la république de Venise les avaient formellement autorisés à faire des courses contre les Turcs; et pour donner à cette supposition quelque apparence de réalité, ils assemblèrent un millier de leurs gens sur la place publique de Segna, leur montrèrent de prétendues lettres de marque du gouvernement vénitien, et leur firent jurer sur le crucifix de respecter le pavillon de la république. La Porte demanda avec hauteur une explication, qui, de la part des Vénitiens, ne pouvait être qu’un désaveu : ceux-ci soupçonnèrent que l’Autriche, déjà brouillée avec l’empire ottoman, n’était pas étrangère à cette manœuvre, dont le but évident était de les engager malgré eux dans sa querelle. Il ne fallut pas moins que la dévastation de quelques lies vénitiennes par les pirates, pour convaincre