2i8 HISTOIRE DE VENISE. ministre une hauteur qui ressemblait à de la franchise; dans les communications officielles, on lui donnait l’assurance que toutes les insurrections des provinces vénitiennes, désavouées par le gouvernement français, devaient finir; qu’elles ne pouvaient qu’occasionner un bouleversement général et fournir aux paysans un prétexte pour prendre les armes. On ajoutait qu’il était facile de reconnaître, par les ordres que le directoire expédiait, qu’il éprouvait un sincère désir de rester en paix avec la république. Il n’avait aucune raison pour l’attaquer; on n’ignorait pas qu’elle était accoutumée à craindre, à respecter la maison d’Autriche, qu’elle avait même plus d’affection pour cette puissance que pour la France; mais enfin le directoire n’avait point à se plaindre du sénat, et il aimait encore mieux avoir affaire à un gouvernement ancien et dont les principes étaient connus, qu’en laisser naître un autre dont la direction.serait peut-être contraire aux intérêts de la France. «Tout cela, ajoutait l’ambassadeur, serait fort rassurant, si le passé ne m’avertissait que les effets ne répondent pas toujours aux paroles. » Cependant il se laissait aller à penser qu’il était possible que le directoire, reconnaissant la difficulté d’opérer une révolution dans les provinces vénitiennes, se fût décidé à en arrêter les progrès. Ce langage du gouvernement français était fort différent de celui que tenait à la même époque son général; on ignorait à Paris ce qui s’était passé en Italie. Quelle que put être la sincérité des promesses du directoire, la nouvelle des événements de Salo vint en suspendre l’effet, et, bientôt après, les scènes sanglantes de Vérone rendirent tout rapprochement impossible. XXXV111. Depuis que les troupes esclavonnes avaient été introduites dans celte ville, il fallait s’attendre de jour en jour à quelques rixes entre les soldats des deux nations, et les esprits étaient dans un tel état d’irritation, que la moindre étincelle devait occasionner une explosion générale. Elle eut lieu le 17 avril. Pour l’intelligence de ce récit, il est bon de se faire une idée de la situation des Français dans Vérone. Ils y étaient à peu près au nombre de treize cents, pour occuper les trois envoya une grande députation au général français, lui proposant toutes les réparations qu’il pourrait désirer et lui offrant d’en passer par tout ce qu’il lui plairait de prescrire. Tout fut mis en oeuvre : on offrit des millions à tout ce que l’on croyait avoir du crédit sur les esprits, tout fut inutile. II expédia alors des courriers à Paris et mit des sommes considérables à la disposition de son ministre, afin de se gagner les membres du directoire et faire donner au général français des ordres propres à sauver Venise. Tous ces moyens furent inutiles auprès du général français : ils réus- forts et les diverses portes de cette grande place. Dans l’intérieur de la ville, il y avait des hommes isolés, des agents de l’administration de l’armée, des femmes et quatre cents malades. On voit que, si l’attaque eût été préméditée de la part des Français, ils auraient dû commencer par faire rentrer dans les forts tous leurs compatriotes épars dans la ville; ils n’auraient pas laissé aux portes des détachements insuffisants pour les défendre ; car il y avait, dans l’intérieur des murs, outre la garde bourgeoise, deux mille esclavons, mille hommes de troupes italiennes, plusieurs milliers de paysans, et en dehors un corps de huit mille hommes, composé de troupes réglées et de paysans armés. Les Vénitiens sentaient si bien la supériorité de leurs forces, qu’ils avaient déployé des troupes sur les places d’armes qui sont devant les châteaux. On avait parlementé la mèche allumée, et, pour faire retirer ces troupes, il avait fallu menacer de canonner la ville. Un renfort de cinq cents hommes, arrivant, le 1G avril, pour entrer dans les forts, avait été obligé de se faire jour au travers des troupes vénitiennes qui s’opposaient à son passage. Un autre détachement de cent hommes, venant de Peschiera, arriva le 17 vers midi : il fut enveloppé. On voulait désarmer les Français; on criait qu’il fallait les fusiller. Cependant ce détachement parvint à entrer, ce qui porta les forces françaises dans Vérone à dix-neuf cents hommes. On savait qu’une colonne autrichienne descendait du Tyrol ; les Vénitiens avaient écrit au général Laudon, qui la commandait, pour lui demander du secours. C’était un véritable état de guerre. Chaque jour, à chaque heure, à chaque instant, le sang était près de couler. Tous les rapports ne s’accordent pas à assigner la même cause à la rupture. Les uns l’attribuent à la rencontre d’une patrouille française et d’une patrouille bourgeoise qui s’engagèrent ; d’autres à l’assassinat de quatre Français, qui, menacés par le peuple, fuyaient vers les châteaux. Je vais, comme je l’ai fait jusqu’ici, laisser les agents du gouvernement vénitien exposer les détails de cet événement. sirent à Paris. La distribution de quelques sommes et une promesse de dix millions valurent au ministre de Venise des lettres et l’expédition d’ordres favorables. Mais ils n’étaient pas revêtus de toutes les formes voulues; d'ailleurs les dépêches du ministre au sénat furent interceptées. Le général français y trouva le développement de toute l’intrigue, le montant des sommes données, celui des lettres de change, et par cela tout devenait nul. » (Mémorial de Sainte-Hèlène, tom. iv,pag. 46.)