320 HISTOIRE DE VENISE. rejetait les qualités occultes par lesquelles alors on prétendait tout expliquer. Il y avait à Padoue une famille qui, depuis plusieurs siècles, ajoutait à son nom deDondi celui de VOrologio, parce qu’un dé ses auteurs avait construit dans celte ville, en 1344, une horloge à roues, qui marquait les heures, les jours, les mois, les fêtes mobiles, et le cours des astres. Ce surnom est un beau litre de noblesse ; cependant il parait que ce Dondi n’eut que le mérite de perfectionner les horloges, et que déjà il en existait dans plusieurs villes d’Italie. Barthélcmi Ferracina, villageois du Bassan, devina plutôt qu’il n’apprit cette partie des mathématiques qui dirige l’emploi des forces motrices. La nature seule lui révéla son talent pour la mécanique. Scieur de bois de sa profession, il imagina, dès son enfance, un moyen de faire mouvoir sa scie par l’action du vent. Des horloges, des machines hydrauliques attirèrent sur lui l’attention de tous les hommes capables de l’apprécier, et devenu l’un des plus habiles ingénieurs de son siècle, il construisit sur la Brenla l’un des plus beaux ponts que l’Italie offre à l’admiration des étrangers. Bernardin Zendrini, placé par un gouvernement éclairé à la tête de lotis les travaux hydrauliques du territoire vénitien (1), s’est illustré par les grands travaux qu’il a fait exécuter et par les écrits dans lesquels il en a exposé les théories. On lui doit la dérivation du Reno dans le Pô, celle du Ronco et du Montone, et les fameuses murailles qui environnent le Lido. Ses écrits sont : les Lois et phénomènes des eaux courantes, ouvrage recommandé par le suffrage de notre illustre Prony, et l’IIistoire des lagunes, que nous avons eu occasion de citer plus d’une fois (2). Après lui Jean l’olani de Venise s’ac-quit une telle renommée, que de toutes les parties de l’Europe on lui demandait des conseils. Non moins savant dans l’architecture civile, il fut appelé par le pape Benoît XIV, pour indiquer les moyens de prévenir la ruine de la basilique de Sainl-Pierre. Lié avec Newton, Leibnitz, Bcrnouilli, s’Grave-sende, et tout ce qu’il y eut de géomètres illustres parmi ses contemporains, il mérita que la reconnaissance de Léonard Venicr, son disciple, lui décernât une statue après sa mort, et qu’elle fut exécutée par la main de Canova. Ferdinand Ligozza fut appelé en Bussie par Pierrc-le-Grand, pour y diriger la construction du (1) Son titre était Malematico délia republica,esopra-inlen-dente generale aile lagune, fuimi e porti dello stalo vcnelo. (2) M. Angelo Zendrini, neveu de Bernardin, et secrétaire de l'institut des sciences à Venise, a été l’éditeur de cet ouvrage. canal qui devait unir la mer Blanche et la mer Baltique. Jacques Lanteri, de Brescia, qui donna le premier à l’art de la fortification la marche sûre d’une science mathématique; Nicolas Tartaglia, son compatriote, que j’ai déjà cité comme géomètre, l’archevêque d’Aquilée, Daniel Barbaro, auteur d’un traité de la perspective, et commentaire de Vitruve; Marius Savorgnano, qui, dans l’art militaire, joignit l’expérience à la théorie; Tensini, de Crème, auteur d’un nouveau système de fortifications, qui consiste à détacher les bastions du corps de la place; Just-Émile Alberghetti, Vénitien, qui traita de la fortification offensive et défensive ; le jésuite Charles Borgo, de Vicence, l’un des hommes les plus savants dans la théorie de cet art; enfin l'architecte Scamozzi, ont discuté ou résolu presque tous les problèmes de l'architecture militaire. Il appartenait à un peuple navigateur de constater l’état des connaissances géographiques. Dès le quinzième siècle, Jean-Baptiste Ramnusio recueillit les relations qui pouvaient faire connaître les côtes de l’Afrique, une partie de l’Asie, et les découvertes faites jusqu’alors dans le Nouveau-Monde. C’est à ses soins, dit deThou, que nous devons la conservation de ces voyages. II les enrichit de savantes préfaces, et composa des dissertations importantes sur les débordements du Nil, et sur le flux de la mer. Dans le siècle suivant, Vincent Coronclli fonda une académie cosmographique, sous le nom des Argonautes ; décrivit la presqu’île de la Morée, publia plus de deux mille cartes, et fut appelé à Paris par Louis XIV, pour y exécuter ces deux globes qui ornent la plus belledc nos bibliothèques. L’empereur CharlesVI voulut aussi se l’attacher en lui donnant la surintendance de tous les fleuves de son empire ; mais la mort empêcha le savant de se rendre aux vœux du monarque, et l’inquiète politique du gouvernement de Venise fut soupçonnée d’y avoir pris part (3). Après tous les noms que je viens de citer, on est peut-être en droit de s’étonner du reproche qu’on a fait aux Vénitiens de s’etre arrêtés au milieu de leurs brillants succès dans les sciences, comme dans les arts de l’industrie, et de n’avoir pas suivi d’un pas égal les progrès des autres nations. Le voyageur Lalande les accusait, au dix-huitième siècle, d’ignorer presque entièrement l’astronomie, et de ne plus cultiver les mathématiques. Cependant lui-même, (3) Voici les termes d'une lettre que m'a écrite à ce sujet un Vénilien très-versé dans l’histoire littéraire de sa pairie : « Il Coronelli non potè andare poichè qui ne mori poco dopo che fii nominato, e si sparse anzi voce, cbe ancora dura, che aquella morte concorrcsse la poliüca veneziana.»