LIVRE XXXVI. 219 Le podestat de Bergame tenait soigneusement les inquisiteurs d’État informés de tout ce qui se passait à Milan, des exactions auxquelles cette ville était soumise, du mécontentement qui en était la suite,etsurtout des apparences qui faisaient prévoir un soulèvement des peuples opprimés par les vainqueurs. Il en calculait les moyens, les chances, et en prédisait le succès. Ces espérances ne se réalisèrent pas complètement; une insurrection éclata en effet dans la Lombardie, mais elle fut comprimée presque aussitôt. IV. L'armée française, en poursuivant les Autri-cliieusaprèslepassagede l’Adda, était entrée comme eux sur le territoire vénitien , et le quartier-général avait été un moment à lirescia. Le général en chef avait cherché à rassurer les habitants du pays par une proclamation. Mais immédiatement après le passage du Mincio, dès que les Impériaux et les Français eurent à se disputer le territoire de la république, devenu le théâtre de la guerre, le gouvernement éprouva combien il était difficile de conserver une impartialité véritable, et dont les uns et les autres voulussent bien être convaincus. La forteresse de Peschiera n’avait qu’une garnison de soixante invalides, une artillerie sans affûts, cent livres de poudre et point de palissades. Le chemin couvert était planté d’arbres ; et les fortifications, comme celles de toutes les places vénitiennes, étaient négligées depuis un siècle. Les portes en étaient ouvertes journellement aux troupes autrichiennes qui passaient. L’officier qui y commandait ne cessait de représenter les conséquences de cet abandon, sans recevoir aucune réponse. Quand le général Beaulieu conçut un moment l’espérance de défendre la ligne du Mincio, il jugea indispensable l’occupation de cette place, sur laquelle il devait appuyer sa droite; et, après avoir rempli la simple formalité d’écrire une lettre au provédileur, il jeta dans Peschiera des troupes qui s’empressèrent de s’y mettre en défense, mais qui I évacuèrent aussitôt qu’il eut commencé son mouvement de retraite vers le Tyrol. Le général en chef français, en rendant compte au directoire du passage du Mincio, terminait son rapport par cette phrase : « La république de Venise a laissé occuper par les Impériaux Peschiera, qui est une place forte; grâce à la victoire de Borghetto, nous nous en sommes emparés. » ' • Le provéditcur lui avait envoyé de Vérone un officier, sous prétexte do demander la réparation de quelques dommages commis à Brescia par l’ar-niée ; cet officier le trouva fort courroucé de l’acte partialité qu’il avait à reprocher au gouvernement vénitien, cl témoignant le désir que le prové- diteur vint exposer lui-même les explications qu’il avait à donner sur cette affaire. Telle était la terreur répandue par les armes françaises, que ce magistrat, homme d’une grande naissance, ancien ambassadeur, se crut perdu, parce qu’il fallait qu’il se présentai devant le général. « Je « pars, écrivait-il à son gouvernement; que Dieu « veuille bénir mes efforts, et me recevoir en holo-« causte ! » Sa frayeur se peint encore plus naïvement dans le début de sa lettre suivante. « J’ai rempli le de-« voir de citoyen. Je suis allé à Peschiera; je me « suis trouvé entre les mains des Français; j’ai tra-« versé les longues colonnes de ces farouches sol-« dats. J’ai vu le général Bonaparte. # Celui-ci ne pouvait désirer de trouver le prové-diteur dans une disposition d’esprit plus favorable au parti qu’il voulait en tirer. Il s’agissait d’occuper Vérone à l’instant, sans coup férir, afin de poursuivre les Autrichiens et d’avoir un pont sur l’Adige. Pour cela, il fallait intimider le magistrat vénitien et lui ôter toute idée de résistance. « Il me dit, écrivait Nicolas Foscarini, que la ré-« publique de Venise avait mal répondu aux dis-« positions amicales de sa nation ; que les faits se « trouvaient fort différents des promesses; que nous « avions trahi la France, en laissant les Allemands « occuper Peschiera, ce qui lui avait fait perdre « quinze cents hommes, dont le sang demandait « vengeance ; que, pour garder la neutralité, il au-« rait fallu résister aux Autrichiens; que, si on h craignait de n’avoir pas des forces suffisantes, « nous devions le lui déclarer, il serait venu à notre h secours; que, si, comme je le disais, les AulrL-« chiens avaient abusé de notre bonne foi, il n’y « avait qu’un parti à prendre, non pas protester, « mais leur déclarer la guerre. Ensuite, après avoir « rappelé tous les griefs que la France avait contre « la république, il ajouta qu’il avait reçu de son « gouvernement l’ordre de brûler Vérone, ce qui « allait être exécuté celte nuil même, par la co-ii lonne du général Masséna, qui était en marche « avec du canon et des mortiers, et que peut-être « dans ce moment le feu était déjà commencé. » VI. La colère du général imposa tellement au provédileur, qu’il offrit de recevoir les troupes françaises dans Vérone. Les Véronais attendaient avec anxiété le retour de Foscarini ; il ne revint qu’après minuit, et fit annoncer que les Français allaient entrer dans la ville, seulement pour la traverser et à litre d’amis. L’épouvante s’empara de tous les habitants, principalement des nobles et des riches. La majeure partie de ces deux classes, et grand nombre même de celle du peuple, s’enfuirent précipitamment dans un désordre extrême. La roule do