220 HISTOIRE DE VENISE. Vérone à Venise fut à l’instant couverte de carrosses, de voitures de toute espèce, de charrettes. Les personnes qui n’avaient pu s’en procurer, se sauvaient à pied, hommes et femmes portant les enfants dans leurs bras. L’Adige offrait un même tableau de confusion; les barques, les bateaux chargeaient en toute hâte des effets précieux, les meubles grossiers du pauvre, des passagers en masse, et dérivaient vers Venise. « Les Venètes n’avaient pas témoigné plus de terreur à l'approche d’Attila. » Cette terreur des Véronais venait de ce que le général reprochait à leur ville d’avoir été assez audacieuse pour se croire un moment la capitale de la ‘France. Les troupes Françaises entrèrent dans Vérone le 1er juin ; quelques jours après, elles occupaient Le-gnago et la Chiuca. Le rapport du provéditeur répandit l’alarme dans Venise, le sénat crut qu’il allait avoir à défendre cette capitale : ce fut alors qu’il laissa pénétrer ses véritables dispositions. Depuis quelquesjours, c’est-à-dire depuis la retraite des Autrichiens, il multipliait coup sur coup les mesures militaires; ordre aux commandants des escadres de les ramener sur-le-champ à Venise, de faire rentrer tous les vaisseaux quelconques, même celui qui portait à Con-Stantinople un nouvel ambassadeur; ordre aux provéditcurs en Istrie, en Dalmatie, en Albanie, de faire partir à l’instant pour Venise toutes les troupes disponibles, d’en lever de nouvelles, de rassembler les milices, en accélérant ces opérations par tous les moyens : nomination d’un patricien pour commander toutes les forces appelées dans les lagunes, et d'un autre pour assurer les approvisionnements; envoi d’un courrier à Paris pour solliciter l’adoucissement des menaces proférées par le général en chef; levées de recrues, redoublement d’activité dans l’arsenal ; établissement d’une taxe sur les maisons de la capitale et du dogado; imposition d’un décime sur tous les biens-fonds que les habitants de Venise possédaient dans la terre-ferme; ouverture d’une caisse pour recevoir les dons patriotiques, qui s’élevèrent, dit-on, à treize cent mille ducats. Ces mesures ne pouvaient pas avoir pour objet de se défendre contre les violences des Autrichiens. Ils avaient occupé le territoire de la république pendant trois semaines, l’avaient traversé dans tous les sens, avaient séjourné dans les places, eu allant et en revenant, sans qu’on eut pris seulement la précaution de s’en plaindre, et maintenant ils étaient en pleine retraite. Cet armement ne pouvait pas non plus avoir clé déterminé par les menaces des Français, puisqu’il était ordonné avant qu’elles fussent proférées. Que voulait-on défendre avec ces troupes? Le territoire? Il était trop tard. La capitale? Sa position insulaire n’exigeait que des barques. Il était donc probable qu’on voulait intimider les Français, ou qu’on se préparait à se déclarer contre eux s’ils éprouvaient quelques revers. Mais plus ces préparatifs étaient évidemment hostiles, moins ils étaient propres à rassurer le gouvernement vénitien. On jugea que le provéditeur, terrassé par l’accueil qu’il avait reçu, accablé de réquisitions, troublé par une multitude de demandes et de plaintes, ne pouvait ni suffire à tout, ni avoir jugé de sang-froid l’état des choses, ni être propre à négocier avec le général. On chargea de cette mission deux autres patriciens, Nicolas Rataja et Nicolas Érizzo, qui joignirent le quartier-géné-ral devant Mantoue, au moment où les Français venaient d’enlever le faubourg Saint-George. VII. Le général leur dit : « Que la république « française avait de grands sujets de plainte contre a la république de Venise; mais que, depuis, l’acte cueil que les Véronais avaient fait à scs compa-« gnons d’armes et à lui-même, l’avait confirmé « dans l’opinion qu’il fallait regarder ce qui était u arrivé comme un effet de l’imprévoyance. Les cho-« ses élant passées, il se féliciterait de pouvoir don-« ner à leur gouvernement des preuves de l’amitié ii du sien; bien persuadé que, pendant le séjour des ii troupes françaises sur le territoire de Venise, le ii sénat ne discontinuerait pas de manifester sa « loyauté, et que rien ne manquerait à la subsis-« tance de l’armée; car cette armée n’ayant à.sa « suite ni magasins ni équipages , il fallait bien « qu’elle tirât sa subsistance du territoire qu’elle « occupait. » Les commissaires lui ayant demandé, avec toutes les précautions dont une pareille question était susceptible, s’il pouvait prévoir la durée du séjour de ses troupes à Vérone, il leur répondit : « Qu'il serait u obligé de les y laisser tant que les circonstances de « la guerre pourraient l’exiger; mais qu’il consen-« lirait à les retirer dès à présent, si la république « se mettait en état d’interdire aux Autrichiens le « passage de l’Adige; qu’au surplus il espérait qu’a-« vant peu l'ennemi serait totalement expulsé de i; l’Italie, cequi permettrait de réduireà un très-petit u nombre les troupes françaises qu’on laisserait u pour la garde des ponts de Vérone. » Il parla ensuite de la guerre, de la politique, avoua qu’il était redevable de la rapidité de ses conquêtes au peu de prévoyance des généraux alliés; annonça la probabilité d’une paix prochaine avec le roi de Naples; dit que le chevalier Azara, ministre d’Espagne, l’attendait à Brescia, pour traiter d’un accommodement avec le pape ; et ajouta que les in*