112 HISTOIRE DE VENISE. de 'fine, la restitution de toutes les conquêtes de la république en Dalmatie; et enfin le remboursement des frais de la guerre. Le sénat n’osa ni rejeter, ni accepter ces propositions; le divan ne voulut point les modifier. Il fallut se préparer à une guerre plus vive. XX. Il y avait plus de trente ans que la république avait interrompu toutes ses relations avec le duc de Savoie ; parce que ce prince avait eu là vanité de se faire donner le titre de roi de Chypre, titre que la république ne prenait pas, qu’elle n’avait pas droit de prendre, mais qu’elle ne voulait pas qu’un autre portât. Ces prétentions opposées avaient, dès le principe, fait naître quelques difficultés sur la manière de traiter les ambassadeurs; on ne s’en envoyait plus. Mais, d’un côté, quelques embarras qu’éprouvait la maison de Savoie pendant une minorité; de l’autre, la guerre que la république avait à soutenir, disposèrent les deux puissances à un rapprochement. L’accommodement eut lieu, comme il arrive quelquefois, sans décider la question qui avait été la cause de la querelle; le duc s’abstint de prendre le titre de roi en écrivant à la république, et continua de le prendre partout ailleurs. Les ambassadeurs de Venise reçurent à Turin le même traitement que ceux de France, et, pour cimenter cette réconciliation, le duc fournit aux Vénitiens deux régiments pour la guerre de Candie. 11 leur accorda même le marquis de Ville, un de ces généraux, dont le bisaïeul s’était trouvé à la bataille de Lépanle. Les Vénitiens lui donnèrent le commandement de leur infanterie, sous les ordres de leur généralissime. La réputation du marquis de Ville était telle, que Louis XIV lui écrivit pour le féliciter de cette marque de confiance si bien méritée par son expérience et sa valeur ( 166b). Les rapports qu'on recevait de Candie, annonçaient que les Turcs n’avaient pas plus de dix mille hommes dans cette île, que la peste ravageait leur camp; mais il fallait s’attendre que cette armée allait se renforcer des troupes devenues disponibles par la paix de Hongrie. Le gouvernement vénitien fit partir, au mois d’octobre 166a, un corps que le nouveau général passa en revue à Paros; il s’y trouva huit mille deux cent quatre-vingt-quinze hommes de pied, et mille huit chevaux effectifs. Il y avait dans ces troupes à peu près un millier de Bavarois, que l’électeur avait permis de recruter dans ses États. Les Turcs reçurent, dans le même temps, un renfort de deux mille janissaires et de quelques autres troupes. En arrivant aux attérages de l’île de Candie, les généraux vénitiens voul urent tenter un coup de main sur la Canée;,mais les troupes, déjà fatiguées par une traversée longue et pénible, furent fort inconi- modées par les pluies. Les Turcs attaquèrent l’avant-garde du marquis de Ville, et lui tuèrent environ quatre cents hommes. Il fallut renoncer à cette entreprise, se rembarquer, et faire voile pour Candie, où l’on posta cette petite armée dans un cainp retranché sous le canon de la place. Cette Iroupe ne tarda pas à y être attaquée par les ennemis; elle finit par les repousser avec perte d’un millier d’hommes. Mais continuellement harcelée dans cette position, elle ne put y tenir que depuis le 16 avril jusqu’à la fin de mai 1666, et se retira dans l’intérieur des fortifications. C’étaient absolument les mêmes fautes et les mêmes résultats que dans la campagne de 1660. Les galères de Malte ne parurent qu’au mois de juin , et ce fut pour se retirer presque aussitôt ; le commandeur, qui les conduisait, demanda pour sa capitane la seconde place dans la ligne de bataille, c’est-à-dire la droite de la galère du généralissime, poste réservé de tout temps à la galère du provédi-teur-général. Le généralissime ne crut pas devoir faire cette concession, et l'escadre maltaise ne prit aucune part aux événements de celte campagne. On voit, par ces prétentions élevées si mal-à-propos, que les alliés de la république se lassaient de cette longue guerre; cependant on allait avoir besoin de plus de forces que jamais, car le grand-visir, malgré les escadres vénitiennes qui parcouraient l’Archipel, renforçait continuellement l’armée ottomane. Des côtes de Négrepont, de la Morée et de l’Asie mineure, do nombreux détachements de janissaires filaient sans cesse vers Candie. Kiupergli se disposait à venir prendre lui-même le commandement du siège. Au mois de novembre, on fut averti, par des salves d’artillerie, que le grand-visir venait de débarquer; et la république ne crut pas avoir un général plus habile à lui opposer, que ce même F'rançois Morosini, à qui elle avait ôté le commandement quelques années auparavant. Bien ne prouve mieux la différence de l’esprit des républiques à celui des monarchies. Dans les unes comme dans les autres, un général accusé, disgràcié, est nécessairement un homme aigri; et rarement un homme sùr. Après une injustice, un retour de confiance est souvent une imprudence. Mais, dans les gouvernements qui sont dirigés par une volonté unique, ce changement de détermination passe ordinairement pour un signe de faiblesse : au contraire, dans les gouvernements collectifs, on est accoutumé à l’oscillation des partis. Par cette raison , les offenses y sont moins sensibles; et celte vertu, qui élève les hommes au dessus d’un juste ressentiment, doit être plus naturelle dans la république que dans la monarchie : on sert l’État plus généreusement que le prince.