PIÈCES JUSTIFICATIVES. 373 se tenir à l’ancre dans les parages du Frioul ; les petits devaient entrer dans les lagunes, dont Jacques Pierre avait sondé toutes les passes. « Tandis que ces perfides complots se tramaient dans l’ombre, une voix qui semblait venir du ciel, apprit aux Vénitiens que la flotte du duc d'Ossone était entrée dans l’Adriatique, mais qtfellcavail été attaquée par des pirates qui en avaient pris une partie, et que le reste avait été dispersé par une tempête. Cette nouvelle intimida les conjurés, et excita toute la sollicitude du gouvernement. On envoya à l’amiral l’ordre de mettre à la voHe, et de faire embarquer avec lui Jacques Pierre et Lan-glade. Les conjurés restés à Venise n’en persistèrent pas moins dans leur coupable dessein. « Mais il arriva que d’eux d’entre eux, nommés (•abriel Moricassin et Balthazar Juven, gentilshommes français, saisis d’iiorreur pour cet abominable projet et pour la scélératesse de leurs complices, révélèrent tout le plan de la conjuration au conseil des Dix. Aussitôt on fit une exacte perquisition de tous ceux qui y avaient trempé : beaucoup furent emprisonnés. On délibéra sur leur sort : les uns furent étranglés secrètement en prison, les autres pendus publiquement au gibet, notamment Renault, l’un des chefs de celte criminelle entreprise. Beaucoup prirent la fuite, et se sauvèrent, soit à Naples auprès du vice-roi, soit à Milan auprès du gouverneur. Ce fut aussi à Milan que se retira la Cueva, craignant d’etre lapidé par le peuple en fureur. Des bâtiments légers furent envoyés à l'amiral, pour lui porter l’ordre de faire mettre à mort, sans écouter leurs prières, Jacques Pierre, Langladc, et d'autres conjurés qu’on lui désignait. Tous furent cousus dans des sacs, cl jetés à la mer. Après le supplice ou la dispersion de ces ennemis publics, le sénat et la ville qui venait d’èlre sauvée d’un si grand péril, rendirent des actions de grâces à la Providence. Cependant le duc d'Ossone, malgré la fatale issue de sa première tentative, n'en conserva pas moins la haine dont il était animé poutre les Vénitiens, etc. » Il y a quelques observations à faire sur ce récit. (.'auteur dit que la flottille du duc d’Ossone se tenait cachée, dans les canaux de la Datmatie, pour venir surprendre Chiozza, qu'un Romain, nommé Alexandre Spinoza, devait lui livrer. Les autres auteurs ne parlent pas de ce projet sur Chiozza, et quant à Spinoza, il avait élé dénoncé, au conseil des Dix, par Jacques Pierre, dès le 21 août 1617. I.e dénonciateur le donnait, non pas pour Romain, mais pour Napolitain; sur cette dénonciation, Spinoza avait été mis à mort. Ainsi il serait difficile de faire coïncider son complot pour livrer la ville de Chiozza, avec la conjuration attribuée à Jacques Pierre. On peut remarquer une autre inexactitude, mais beaucoup moins importante, nu sujet de la mort de l.anglade, que l'auteur fait jeter à la mer dans un sac, taudis qu'il fut tué à Zara, à coups d'arquebuse. J’ai exposé les raisons qui me font croire que le récit de Nani est antérieur à celui du continuateur deVéro. Si, au contraire, comme le croit (irosley, c’est celui-ci qui a écrit le premier, le témoignage de Nani perd beaucoup de sou poids. La ressemblance des deux versions ne permet pas de douter que l'une n’ait été faite d’après l'autre. Si Nani, écrivain de réputation, procurateur de Saiul-Marc et ambassadeur, eût écrit une relation qui lui appartint, on pourrait croire qu’il aurait puisé dans des sources authentiques cl non accessibles à d'autres écrivains; mais s’il a été réduit à copier la version d'un écrivain obscur, il faut en conclure qu'il n'avait pu recueillir, sur cet objet, aucunes lumières qui lui fussent propres; qu'il n'avait pu fouiller dans ce mystère plus avant que ses prédécesseurs, et que, par conséquent, son témoignage n’ajoute rien au poids de celui du continuateur de Véro. Telles sont les relations publiées sur celle conjuration antérieurement à l'histoire spéciale que Sainl-Réal en a écrite. C'était déjà une difficulté assez, grande que de choisir entre des récits qui diflercul essentiellement. Ces versions se réduisent à trois. L’une n’est qu'une feuille volante, une gazelle publiée loin du pays où l'événement s'était p.issé. Ou peut, sans témérité, la soupçonner d'inexactitude. La seconde est la relation de Capriata, qui dément l'existence de la conjuration. Il ne reste donc que le récil de Nani ou de Rirago, dont les historiens postérieurs ail pu s'autoriser. Ainsi les auteurs de ces relations sont : un gaze-lier inconnu, un Génois cl un avocat de Padoue, ou bien un historiographe de la république. Aucuu de ces écrivains n'a cité des léinoiguages, cl il est à peu près certain qu'ils n’ont pu avoir des pièces sous les yeux. Ajoutons qu'ils lie sont point d'accord. L’auteur de la relation du Mercure, cl Nani, admettent l’existence de la conjuration. Le Génois Capriata la révoque en doute. Le premier parle d'un complot, pour livrer la place de Marano; les autres u’en disent pas un mol. Il dit qu’on voulait exciter un soulèvement parmi les soldats licenciés qui étaient à Palma-Nova ; les autres n’en disent rien. En revanche, Nani parle d’un autre complot pour