LIVRE XXXVII. 23!S ment toutes les villes du Milanais, demander et organiser, sous leur influence, une forme de gouvernement nouvelle. On pouvait se croire revenu au temps de la ligue lombarde, qui avait été pour l’Europe moderne l’aurore de la liberté. Reggio, Modène, Bologne, Ferrare, suivirent cet exemple. L’incendie s’approchait des Etals vénitiens. Le gouvernementFrançaisneprenaitpas la peine de dissimuler scs soupçons ni ses moyens de vengeance. Il faisait imprimer dans les papiers publics cet article menaçant : « Les Vénitiens continuent à « armer en secret ; ils font des levées qui se rassem-« bleront et s’armeront, dès que le moment favorable « sera arrivé. Le gouvernement vénitien se flatte de ii dérober aux Français la connaissance de tous ccs « préparatifs, parce qu’il y a très-peu decommuni-ii calions entre Venise et la terre-ferme, et qu’il ii soumet tout à l’inquisition la plus sévère; mais « toutes ces précautions sont inutiles. Les Français « ont partout des intelligences et des amis; ils ont ii dans la terre-ferme plus de partisans qu’on ne « croit. On sait que de tout temps les nobles et les « riches propriétaires de terre-ferme ont souffert « impatiemment la tyrannie vénitienne. S’ils ne se « sont pas déclarés contre le gouvernement, c’est « qu’ils ont craint les malheurs d’une révolution, « dont le succès étaient incertain, puisqu’il dépen-« dait des événements de la guerre. Le danger ii n’existe plus; dès à présent, toute la partie de « l'Etat de Venise qui est en deçà de l’Adige peut se « déclarer sans avoir à craindre que les Vénitiens ii tentent de la soumettre de nouveau au despo-it tisme aristocratique. Dès à présent, Bergame, « Brescia, Crème, Peschiera, etc., peuvent se réunir « à la république lombarde. Les habitants disposés ii à prendre ce parli sont en grand nombre. Après « ce qu’ils ont souffert de la présence des armées, ii ils n’espèrent pas d’autre dédommagement que « de recouvrer leur liberté. Le reste de l’Etat de ii Venise sera encore quelque temps le théâtre de ii la guerre et restera dans l’indécision ; mais il est « aisé de prévoir qu'il se déclarera aussi indépen-« dant. La faiblesse du gouvernement vénitien est « aujourd’hui connue de ses propres sujets. Sa seule « force était dans l’opinion, et l’opinion est changée. « Quoi qu’il puisse arriver, cc gouvernement terro-« riste touche à sa fin. » Quand on se rappelle qu’un an auparavant, à une époque où les Français n’étaient pas encore descendus des Alpes, le ministre de Venise à Paris avait été assez effrayé d’un article de gazette, pour imprimer le désaveu d’une réponse noble qu’on prêtait à son gouvernement, au sujet de l’asile accordé aux émigrés; on se demande l'effet que devait produire le manifeste que je viens de rapporter, et cela dans un moment où les armes françaises avaient inondé le territoire de Venise de sang autrichien. Cependant on ne prit ni le parti de se plaindre, ni le soin de se disculper. Après de telles menaces et un tel silence, il était désormais impossible de se réconcilier ou de se tromper mutuellement; et l’on peut voir une modération affectée, dans une lettre que le général en chef écrivit au provéditeur, pour se plaindre des persécutions dirigées, par le gouvernement de Venise, conlre les sujets de la république, partisans de la France. Dans la situation actuelle des esprits en Europe, disait-il, toule persécution ne peut qu’accroître les dangers des gouvernements. XXV. Ce qu’ori disait de la disposition des esprits dans les États de Venise n’était ni totalement vrai, ni totalement faux. Il y avait de lu division, même dans le conseil de l’aristocratie, et à plus forte raison parmi les sujets. Des deux côtés on poussait la haine ou l’enthousiasme pour les principes français jusqu’au fanatisme. Les gens sages, ceux qui aimaient le repos, ceux qui prévoyaient des désordres et des crimes, gémissaient et regrettaient un gouvernement, qui avait au moins eu jusque-là le mérite de la stabilité. Les sentiments étaient fort divers sur le gouvernement vénitien. On ne pouvait pas lui reprocher, d’être prodigue; il était plus sombre que sévère; mais il avait les inconvénients attachés à sa nature. Le pouvoir aristocratique a le défaut d’être le plus insupportable de tous pour l’amour-propre des sujets. Ce tort de blesser les amours-propres était, à cette époque, le plus grand, le plus dangereux. L’aristocratie a plus besoin de force que tout autre gouvernement, et celle de Venise ayant perdu les siennes se trouvait atteinte du double malheur d’être à la fois un objet de haine et de mépris. Si quelque chose eût pu la sauver, c’eut été la haine qu’on portait à la nation française. Mais comment espérer que les peuples fermeraient l’oreille à ccs mots séduisants de liberté, d’égalité, qui réveillent de si nobles pensées, et qui malheureusement exaltent tant de passions? Que pouvaient les proclamations d’un podestat, s’efforçant de vanter l’antique sagesse et la modération du sénat de Venise, à côté de ces théories nouvelles, qui apprenaient au peuple qu’il dépendait de lui de vivre sans maîtres? La nombreuse classe des nobles sujets devait faire cause commune avec les populaires, parce qu’une occasion lui était offerte de sortir de sa nullité. Aussi, dès que l’étincelle partie de Milan eut produit l’explosion révolutionnaire, il n’y eut plus rien à espérer des conseils de la sagesse, ni de l’amour de l’ordre, ni du tableau des malheurs qu’on pou-